Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Je prétends m'occuper de toi,

Et rendre ta fortune infiniment meilleure.
Peut-être qu'on devient généreux tout-à-coup,
Reprit l'âne; & du moins le refus eft honnête.
Malgré cela, j'ai peine à mettre dans ma tête
Que me refufant peu, vous n'accordiez beaucoup.

FABLE XXVIII.

LE CORBEAU ET L'A PIE.

DANS certaine forêt vivoit certaine Pie,
Plus légère, plus étourdie,

Et fatiguant plus les échos

De fon aigre caquet que dix de fes Compagnes.
Ses ailes ni fes pieds n'avoient aucun repos.

Dans le fond des vallons, au fommet des montagnes
On la trouvoit par-tout, toujours allant, venant,
Volant, courant, trottant, fautant de place en place,
Toujours' jafant & caquettant

Avec tout le fens d'une Agaffe;

Bien rarement deux fois en même lieu,
Plus rarement deux fois en même compagnie;
Celle qui l'amufoit l'ennuie,

Et fon premier bonjour est souvent un adieu.
Le matin granivore, on la voit fort humaine
D'un effaim de Pigeons s'accolter dans la plaine;
Un grain de blé lui semble un mêts délicieux.

2

Le foir elle eft Oifeau de proie;

Elle prend fon effor & plane dans les cieux;
C'est avec les Milans qu'elle aime qu'on la voie.
Elle gazouille aux bois à côté des Pinçons,

Et nazille fur l'herbe au milieu des Oifons.
Plus loin c'eft un Geai qu'elle agace;

Une Corneille qui croaffe

L'attire au haut d'un hêtre, & voilà nos deux gens Aux prifes, à propos de pluie & de beau tems; Puis perdus dans la politique,

Préfageans les événemens,

Les révolutions & les grands changemens

Qui menacent la République.

Puis querelle, on s'échauffe & l'on ne s'entend plus,
Et mille coups de bec font donnés & rendus.
C'est un caquet, c'eft un tapage

A faire déferter cent fois le voisinage.

Un jour il prit envie à cet étrange Oiseau
D'aller voir un certain Corbeau,

Faifant fa demeure ordinaire

Au creux d'un chêne, au fein d'un vallon folitaire. Dans le monde autrefois il étoit fort connu,

Et depuis près d'un fiécle en étoit revenu.

Il commença par être Augure;

La philofophie & le tems

Le rendirent à la Nature;

Dans une paix profonde il couloit fes vieux ans.
Notre Agaffe l'aborde & lui tient ce langage:
Que ce défert me plaît ! qu'on fait bien d'être un sage!
Ces bois & ces rochers, & cette belle horreur;
Tout cet enfemble pittorefque,

Je ne fais quoi de romanefque,

Cela fait un plaisir si vrai, si doux au cœur!...
Une tendre mélancolie

S'empare de mes fens aux bords de ce ruiffeau;
Le feul murmure de fon eau

Me plonge dans la rêverie...

C'eft que j'aime à rêver, moi, c'est-là ma folie.
Dans le monde en a-t-on le tems?.

Ah! jufte ciel la pauvre vie!

Hélas! bon Dieu les fottes gens!...

Du caquet,

voilà tout; du clinquant, point d'étoffe... Oh! tenez, mon cher philosophe,

Prenez votre parti, croyez-moi, là-dessus ;
C'est un point décidé, je ne vous quitte plus.

J'ai l'air un peu léger, mais je fuis fort profonde,

Et je préfère un Sage à tous les Fous du monde.

Le projet me paroît fort beau,

Et bien digne de vous, répondit le Corbeau;

Mais j'ai peur que nos goûts ne foient un peu contraires, Et j'en aurois bien du dépit:

Les deux couleurs de votre habit

Tranchent moins à mes yeux que nos deux caractères. Vous avez l'efprit fi brillant,

Si fécond & fi fémillant,

Il eft fi doux d'en faire ufage,

Que vous vous fervez bien de tout votre avantage. Avec moins de talent, je fuis plus circonfpect; J'exerce en même-tems, du moins j'aime à le croire, Mon jugement & ma mémoire;

Enfin je réfléchis avant d'ouvrir le bec.

Cela fait

que fouvent je garde le filence;

Et je m'en applaudis quelquefois quand j'y pense.
Il est tout fimple encor avec tant de moyens
D'avoir le goût de plaire à toute la Nature.

Ce goût-là, qui d'ailleurs ne donne aucuns liens,
Eft le vôtre, à ce qu'on affure.

Moi j'aime à me livrer à quelques vrais Amis,
En petit nombre, mais choifis...

« AnteriorContinuar »