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FABLE XXXI.

L'AIGLE ET LE CORBEAU.

L'OISEAU qui porte le tonnerre

Rencontra cet Oifeau, dont le vol aux Humains
Interprête des Dieux les décrets incertains.
Comment donc, lui dit-il, le Sage de la terre,
L'Homme, le plus fubtil de tous les Animaux,
Fut-il auffi long-tems la dupe des Corbeaux!
Comment fe mit-il dans la tête.

Que vous faifiez au ciel le calme & la tempête?
Vous vous les rappelez ces tems religieux,

Où l'on vous engraiffoit pour vous rendre propices:
Tandis que de fumée on repaiffoit les Dieux,

Vous favouriez en paix le fang pur des Géniffes...
Mais quoi! tout change, hélas! l'Homme devient penfeur,
Même il penfe affez jufte, & c'cft un grand malheur.
Les Dieux n'y gagnent pas, encor moins leurs Miniftres...
Les Corbeaux, aux yeux des Mortels,

Ne font plus aujourd'hui que des Oiseaux sinistres,

Des impofteurs groffiers, avides & cruels...
Sire, dit le Corbeau, je fais auffi l'histoire...

L'Homme étoit fimple encor quand il a pu nous croire...
Mais il fut le plus vil de tous les Animaux,
Quand il crut concevoir que le Dieu du tonnerre,
Avec le droit affreux de ravager la terre,
Avoit remis fa foudre à de certains Oiseaux,
A des Monítres fuivant leurs appétits pour règles,
A des Tigres ailés... enfin, Sire, à des Aigles!...
Et l'Homme en fit des Dieux! & quand l'Oiseau facré
A la main qui l'avoit nourrie

Enlevoit la Brebis chérie,

De l'imbécille Pâtre il fe vit adoré!...

N'attendez pas que je vous flatte; L'entreprise aujourd'hui feroit plus délicate... Sire, tout change, hélas! l'Homme n'eft plus enfant; L'Homme connoît fes droits... & même il les défend. Rien n'eft facré pour lui dès qu'il fent qu'on l'opprime; L'Homme n'eft plus enfin ni dupe... ni victime; Et quand il eft vexé par un Tyran de l'air, Croit pouvoir le punir, fans bleffer Jupiter.... A ces mots le Corbeau qu'avoit trahi fa rage, Se plonge dans la nuit d'une forêt fauvage,

Et fe dérobe à l'oeil de l'Aigle furieux

Qui plane... & cependant qui tremble au haut des cieux!

FABLE XXXII.

LE ROSSIGNOL ET LE PIVOINE.

L'HONNEUR des bois qui l'ont vu naître,
Le Roffignol, voulut connaître

Les différens Pays & les Oifeaux divers

Par la gloire du chant fameux dans l'Univers.

Il partit: les ruiffeaux fembloient pleurer fa perte;
L'Écho devint muet & la forêt déferte;

Les Plaisirs avec lui s'en étoient envolés;
Ses jaloux feulement s'en étoient confolés.
L'honneur de la gent volatile,

Si l'honneur fut jamais dans l'éclat des habits,
Le Pivoine, avec lui voulut voir le Pays:

Il quitta fans regret la paix de fon asyle,
Moins pour connaître encor que pour

Il vouloit voir pour être vu.

être connu;

Et vraiment, pour tout dire, il méritoit de l'être: Le rouge de fa gorge avoit l'éclat du feu;

Sa tête étoit charmante, on en faifoit l'aveu,

(Il est vrai, disoit-on, qu'il en avoit fort peu.) Mais le jais, aussi noir, eft moins luisant peut-être. Le fond de fa parure étoit un gris cendré

Le plus galant du monde, & tout confidéré

C'étoit affurément un joli Petit-Maître ;

Et j'ai vu quelque part, devant force témoins,
Plus d'un jeune Étourneau s'en faire accroire à moins.
Ils paffent donc ensemble aux forêts étrangères.
Portés fur leurs ailes légères,

Ils laiffent derrière eux & les monts & les mers:
Une île enfin paraît, dont les bocages verds
A nos deux Voyageurs rappellent leur patrie;
C'étoit une île Canarie.

On s'arrête, on s'abat fur le premier rameau.
Tandis qu'ils refpiroient à l'ombre du feuillage,
Les Hôtes emplumés de ce monde nouveau
Vinrent les recevoir comme il étoit d'ufage.
La voile dans le port fait entrer les vaiffeaux,
La parure aux honneurs élève les Oifeaux...

Les Oiseaux ne font pas fi fages que nous fommes,
Les habits, comme on fait, ne font jamais les Hommes.
Le Pivoine fur lui fixa tous les regards;

Ce fut à qui fauroit lui marquer plus d'égards,

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