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FABLE XVIII.

LE POMMIER ET LA GIROFLÉE

UN POMMIER dans la canicule

Trouvoit tout au moins ridicule
Le peu de foin du Jardinier,

Qui repofoit à l'ombre & le laiffoit griller;
Tandis qu'on lui voyoit la cervelle affublée
D'une petite Giroflée,

Dont les fleurs, à fon gré, ne valoient pas les fruits
Que fa tige féconde un jour auroit produits.
Eh! voyez, difoit-il, n'eft-ce pas une plante
Bien utile & bien importante,

Pour être-là, foir & matin,

Occupé du fouci de rafraîchir fon teint?

Mais, crois-moi, ma petite, on rit de fon ivreffe,
Qui te fait affez peu d'honneur,

Et l'on méprise au fond du cœur
Le Courtifan & la Princeffe.

Moi j'ai pitié de fon erreur..

Je ne me flatte pas; mais j'imagine certe

Qu'avec moi l'on pourroit du moins Retirer l'intérêt de tous ces petits foins

Qu'on te prodigue en pure perte.

Eh! par où puis-je, hélas! m'attirer tes rigueurs!
Reprit la douce Giroflée;

Eft ce ma faute à moi fi l'on aime les fleurs?
J'ai fort

peu de mérite, & j'en fuis désolée,

J'ai beaucoup de befoins, & c'est un plus grand tort;
Mais n'eft-ce point celui du fort?

Dans la demeure étroite où je fuis condamnée
A végéter toute l'année,

Pourrois-tu m'envier quelques legers secours,
Néceffaires fans doute au foutien de mes jours?
Ces fecours paffagers que Monfeigneur me donne,
Tu les prends à la fource & dans tous les inftans,
Et peut-être même aux dépens

Du

potager qui t'environne.

Moi, je mourrois fans l'arrofoir....

Cela te met au désespoir;

Mais tes pareils, faute de pluie,

Ont rarement féché sur pié,

Et tu pourrois au plus exciter la pitié....
Si tu féchois de jalousie.

FABLE XIX.

LE HIBOU ET LA CIGALE.

A L'OMBRE d'un vieux sycomore,
De Monfeigneur Hibou redoutable féjour,
Dame Cigale chaque jour

Chantoit, faus y manquer, au lever de l'aurore.
Pour le Seigneur du lieu le jour étoit la nuit ;
N'importe, elle chantoit; chantoit à fa manière,
Ou tout au moins faifoit du bruit.

Monseigneur poliment la pria de fe taire.

Elle en chantoit un peu plus fort.
Nouveau placet; nouvel effort.

Oh! oh! dit le Hibou; c'est donc une gageure:
Je vois qu'il faut changer d'allure.

Mais vous avez raifon, dit-il, & j'avois tort;

Vous chantez comme Orphée !... il n'eft qu'un mot qui ferve;
J'ai chez moi du nectar que m'a donné Minerve;
Aimez-vous le nectar? - Vraiment je l'aime fort....

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Elle y vole... & dans l'onde noire Seigneur Hibou l'envoya boire.

FABLE XX.

L'AIGLE, LE CORBEAU ET LA TORTUE.

L'AIGLE un jour dans fon aire enleva la Tortue.
Comme elle étoit fraîche & dodue,

Monseigneur ce jour-là n'ayant point déjeûné,
La deftina fur l'heure à faire fon dîné.

Il n'en eut pas toute la joie

Qu'il s'en étoit promis, & comprit que fa proie
Pourroit long-temps le chicanner.

Il faudroit dans fon toît forcer la Pélerine,

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Or, voilà fon malheur; jamais il n'imagine,

Il fait venir Maître Corbeau,

Qui lui dit : Monfeigneur, où donc eft le mystère;
Rien n'eft fi bon que votre affaire;

Mais vous ne favez point travailler du cerveau;
Suivez-moi. Me voici.-Sur cette roche nue,
De la hauteur où vous voilà,

Laiffez dégringoler Madame la Tortue;

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