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regardé la premiere maniere de confiderer cette chofe comme plus élevée, plus fimple, & comme le principe qui fert à la mieux connoître, quand on veut la confiderer de la feconde maniere.

10. Il faut encore, avant d'entrer dans l'examen de la nature du corps, diftinguer dans chaque chose sa notion de sa nature. Sa notion cft ce que l'on entend par le mot dont on fe fert pour l'exprimer. Sa nature ou fon cffence, c'eft ce que cette chofe eft précisément. (e)

11. Souvent la notion fe prend dans les rapports ou les propriétez d'une chofe, fans exprimer comment cette chofc-là cft faite, ni ce qu'elle eit. Par exemple quand on dit qu'une montre eft une machine propre à marquer les heures, cette notion exprime la propriété ou l'effet de la montre; mais elle n'explique point coinment la montre cft faite, ni ce que c'eft que cette machine: Il est bien vrai qu'on infere le mot eft, cn difant qu'elle eft une machine, mais on ajoûte à ce mot un nom général de machine, qui ne la diftingue point de toute autre machine, qui ne fait point entendre fa conftruction, & qui ne repréfente point comment elle eft faite : car on ne fçait proprement point ce que c'est qu'une montre, quand on n'en fçait autre chofe, finon que c'eft une machine; & quand on ajoûte qu'elle eft propre à marquer les heures, on exprime la pro- . priété qu'elle a & l'effet qu'elle produit; mais on ne dit point ce que c'eft, car le mot propre auffi bien que tous les noms

(e) N. 3.

concrers fe tournent par qui a, propre, qui a l'aptitude, comme fçavant, qui a la fcience; ainfi tous les noms concrets expriment ce que la chofe a, & non point ce qu'elle eft, & pour exprimer ce qu'elle eft, il faut fe fervir d'un nom ab!trait.

12. Lorfque l'on entreprend de traiter d'une chose, il faut toujours commencer par fçavoir fa notion, c'eft-à-dire par fixer l'idée que l'on attache au nom dont on fe fert pour exprimer cette chofe, fans quoi ceux qui entendroient ou liroient ce Traité, & ceux qui voudroient difputer contre celui qui l'a compofé ou qui en parle, ne fçauroient de quoi il s'agiroit, & ils parleroient en l'air. C'eft- ce que Ciccron a (f) Ofic. exprimé en ces termes : (f) Omnis qua à ratione fufcipitur de re aliquâ inftitutio, debet à definitione profic fci, ut intelligatur quid fit id de quo difputatur.

I. I. c. 3.

13. Mais il n'eft pas toujours neceffaire d'en connoître la nature & l'effence, c'ettà-dire de fçavoir comment elle est faite, pour en raifonner, puifque la feule notion de fon nom, les rapports qu'elle a, & les effets qu'elle produit, peuvent fervir de principes pour en découvrir plufieurs chofes, pour prouver fon existence, & déterminer certains caracteres qu'elle doit néceflairement avoir.

14. Ceci démontre que les Philofophes qui en examinant chaque chofe, commençoient par la queftion an fit, c'eft-à-dire par examiner fi cette chofe exifte, & qui alloient de là à la queftion quid fit, c'eltà-dire venoient à l'examen de ce qu'elle

eft, pouvoient avec jufte raifon fuivre cette méthode, puisqu'avant de s'embaraffer de tout autre examen d'une chofe, il faut s'aflurer fi elle eft véritable, & ne fe point amufer à la recherche d'une chimere. C'est pour cette raison que je ne peux approuver la conduite de certains Philofophes, qui ayant imaginé quelques fyftêmes fur la conftruction de l'Univers, fe mettent en peine d'ajuster à ce fyftême toutes les experiences qu'on leur propofe, pour faire voir l'étendue de ce fyftême, fans fe mettre en peine d'examiner fi ces experiences. font véritables ou fauffes. Il réfulte de là que quand on vient à découvrir la fausseté de ces experiences, on regarde leur fyftêmc comme une imagination propre à ré-foudre des chiméres, plutôt que comme un fyftême ajusté fur la vérité des chofes.

15. La même vérité fait voir qu'un Auteur (g) qui dès l'entrée de fa Philofophie, a (g) M. Davoulu détruire cette méthode de quelques goumer. Philofophes, & qui a propofé publiquement cette Théfe, quastio quid fit res pramitti debet quastioni an fit; c'est-àdire, il faut examiner ce que c'eft qu'unc chofe avant d'examiner fi elle eft exiftante, a commencé fa Philofophic par une erreur. Il devoit prendre garde que ces Philofophes dans l'examen de leur premiere queftion; fçavoir fi la chofe dont ils traitent, exifte, mettent pour titre de nomine,, notione, & exiftentia, c'est-à-dire qu'ils promettent d'examiner l'origine du nom que l'on donne à cette chofe, d'en expli quer la notion, & d'examiner cnfuite fi

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elle exifte. Dans la question fuivante en examinant ce que c'est que cette chofe, ils cherchent fa nature & fon effence; en quoi il n'y a certainemenr rien qui puiffe être contraire à la bonne méthode, du moins à ne confiderer les chofes qu'en général; car il pourroit y avoir du défaut de méthode, en fe gênant à traiter toujours les chofes de la même maniere : il peut fe faire que la nature d'une chose soit fi claire qu'elle ferve même de notion, & alors il ne faudroit pas commencer par la question an fit. Il peut fe faire que des cinq queftions que ces Philofophes propofent, l'une foit fi aifée qu'elle ne puifle pas occuper plus d'un feuillet, & ne merite pas même d'être traitée; & que l'autre foit fi épineufe ou fi étendue qu'elle doive occuper un Volume affez confidérable, & alors le partage d'un Traité, fuivant ces queftions, eft très-incommode, ce qui eft un défaut dans la Méthode. Il eft furprenant que cet Auteur au lieu de remarquer ce défaut plutôt que celui qu'il leur reproche, y foit tombé lui-même.

16. Pour commencer donc par la notion de ce mot Corps, je dirai qu'il a plufieurs fignifications, & qu'il eft très-équivoque. On dit un Corps d'armée, un Corps de garde, une focieté s'appelle un Corps; on dit qu'une liqueur a du corps. On divife les fubftances en corps & en efprits; on dit que la Phyfique traite des corps naturels; on dit quelquefois que la matiere du monde eft un Corps; on dit d'autres fois qu'elle n'eft pas le corps naturel, mais

qu'elle eft un des principes de tous les corps. Il y a eu des Auteurs qui ont confondu le nom corps avec celui de fubftance, ou même avec celui d'être réel, & quelquesuns ont foutenu en ce fens que Dieu étoit un Corps; mais fans nous embaraffer de toutes ces différentes fignifications,

17. Nous oppoferons ici le corps à l'efprit, & nous entendrons par ce nom corps, cette fubftance ou être qui fubfifte en soimême, qui n'eft point façon ou maniére d'un autre être que lui-même, & qui est comme le premier fond ou le premier fujet dans lequel fubfiftent toutes les formes qui compofent ce monde vifible, quel que foit cet être & de quelque façon qu'il puiffe être fait en lui-même. C'eft de cet être qu'il s'agit de chercher la nature, c'est-àdire de tâcher de fçavoir, fi nous le pouvons, comment il eft fait.

18. Il y en a qui difent que l'effence du corps pris en ce fens confifte dans la matérialité, c'est-à-dire en ce que le Corps eft une fubftance matérielle, & que celle de l'efprit confifte dans la fpiritualité, c'està-dire en ce qu'il eft une fubftance fpirituelle. Quelques-uns croient que cette effence confifte dans la pluralité des parties qui fontfubftances, c'eft-à-dire en ce que le corps eft une fubftance ou un être qui fubfifte en lui-même, qui n'eft point la façon d'un autre être que lui, & qui eft compofé de plufieurs autres êtres dont chacun eft une fubftance auffi bien que lui. Il y en a qui aiment mieux dire que l'effence du Corps confifte dans la racine de

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