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quelles mêmes ces Auteurs n'ont peutêtre jamais penfé. Mais quelle honte ne feroit-ce point pour Ariftote & pour Horace, fi voulant dire qu'il n'eft pas neceffaire qu'une action foit importante, & qu'il fuffit que les perfonnages lefoient; ils n'ontpas fçû dire une chofe auffi fimple que celle-là, & qu'ils ayent befoin pour être entendus de la diftinction que le P. le Bollu a inventée. Enfin, fi l'onn'a aucun égard à la nature de l'action même, à quel excez de baffeffe ne la peut-on point porter fous le nom d'un Prince le premier exemple feroit rougir ceux qui fuivent cette opinon. Secondement le P. le Boffu juge trés-mal lui-même du fujer de l'Odyffée; car la morale humaine n'a jamais rien connu de plus grand qu'un homme qui pouvant trouver hors de chez lui tous les plaifirs de la vie, & l'immortalité même, s'expofe à toute forte de travaux & de dangers pour revoir fa famille, dont il eft attendu, & à qui il eft neceffaire. En effet, pour donner fur la grandeur de l'action poëtique une diftinction bien mieux fondée que celle du P. le Boffu; nous dirons qu'une action peut être grande, ou par fon éclat exterieur comme la con

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quête d'un Royaume, ou par l'effort de la vertu qui confifte fouvent à méprifer cet éclat même; telle eft à peu prés l'action de l'Odyffée, & celle qui fait le fujet de Telemaque cette derniere forte de grandeur fuffit, pourvû neanmoins que le poëme fe foutienne d'ailleurs par la varieté des évenemens, & fur tout par l'élegance de leur choix, & par leur utilité morale, comme Telemaque. Mais de plus, la premiere ef pece d'action ne fçauroit être vraiment grande & illuftre fi elle eft vitieuse moralement.

CHAPITRE III.

Que le sujet propre de l'Iliade eft
trop borné.

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E fujet de l'Iliade eft petit, felon la feconde fignification de ce mot,en ce qu'il eft borné il ne fuffit pas que le fujet frape le lecteur par fon importance & par fa nobleffe, il eft bon encore qu'il foutienne le Poëte, même par fon étendue, & par fa fécondité : car enfin on doit s'aider de tout & prendre tous fes avantages dans une entreprise auffi longue & auffi difficile que l'eft un Poëme épique. On a vû dans une

Préface, que Mr Defpreaux avoit mife autrefois à la tête de fon Lutrin, qu'un Poëte devoit au contraire choisir un fujet petit & borné en lui-même pour avoir lieu de l'étendre & de l'enrichir. Mr Defpreaux a peut-être changé d'avis dans la fuite, puisque cette Préface n'a plus paru; & d'ailleurs il apliquoit cette maxime à fon Lutrin qui eft une épopée comique mais par raport à un Poeme ferieux, je foutiens toûjours que c'est une préfomption que de l'entreprendre fur un fait borné comme la colère d'Achille, qui de la maniere dont Homere la prend, ne fournit point affez de matiere pour un Poëme entier. Quand j'ai accordé ci-deffus à Ariftote que la Guerre de Troie étoit trop grande pour en faire le fujet d'un Poeme ; c'eft dans le fens où un Poëte en auroit pris l'hi

ftoire dés fon origine la plus éloignée, & fe feroit chargé de tous les faits qui y font entrez mais d'ailleurs l'entreprife des Grecs contre Troie, & la ruine de cette Ville n'ont rien qui passe l'étendue convenable à l'Epopée. L'entreprise d'Enée fortant de Troie toutes les guerres qu'il devoit faire en Italie font un objet bien plus vafte, & qui ne fort pourtant point encore de l'u

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&

nité de l'action épique; en effet, il y a cette difference entre l'unité de l'action: épique & celle de l'action tragique, que? l'action tragique étant refferrée par les bornes du tems & du lieu ; en un mot, par toutes les convenances de la reprefentation, ne fouffie pas la multiplicité des incidens; au lieu que l'Epopée ne. demandant point d'autre unité d'action que celle de l'objet final du Heros, il est à propos de l'y faire arriver par un grand nombre d'avantures, non feulement pour varierle poëme, mais encore pour fournir des exemples utiles dans les differentes circonftances de la vie :: il est vrai que la détermination d'Homere à un objet unique, marque en lui, comnie je l'ai déja infinué, un fentiment fingulier & trés-eftimable pour fon tems de la proprieté fondamentale d'un Poeme qui eft l'unité d'action; mais Homere a porté trop loin fa précision fur ce point, & les bornes étroites où il s'eft renfermé ont réduit l'Iliade à cette uniformité de faits & d'idées, & à ces répetitions de mots & de phrafes qu'on lui a tant reprochées. Ce qu'il y a de furprenant, c'eft qu'Homere n'a pas même embelli fon Poëme des Epifodes que lui fourniffoit fa matiere gé

nérale, c'est-à-dire la guerre de Troie : on auroit apris avec plaifir dans des récits placez & diftribuez à propos quel avoit été le fujet de cette guerre, quel motif avoit affemblé toute la Grece pour venger l'injure du feul Menelas, quelle défenfe de la part des Troiens les avoit foutenus pendant neufans contre tant de Rois & tant de peuples. Au lieu de tout cela on ne voit qu'un mot jetté négligemment au a 24. liv. fur le jugement de Paris; ce qui réduit Me D. à louer Homere d'avoir gardé ce commencement pour la fin, & d'aNoir mis ensemble la caufe & l'effet b: le fac de Troie, & les courfes d'Enée étoient encore plus détachées de fon établissement en Italie, que les récits que nous propofons ne le font du vrai fujet de l'Iliade; Virgile a pourtant crû devoir enrichir fon poëme de ces fortes de digreffions: mais dans Homere, non feulement ces récits manquent comme peintures agréables, ils manquent encore comme éclairciffemens neceffaires; car fans parler du refte on fuit toute l'Iliade jufqu'au 15. liv. ns comprendre comment à la dixième année du Sie.

a p. 350.
b 3.1911

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