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pre, le goût univerfel a donné le prix à la Phedre de Racine fur toutes les Tragedies Françoises ; & bien loin que les Athéniens fuffent plus forts ou plus fçavans que nous en fait de Tragedies; ils ont donné temerairement l'épithete de trés-tragique à un Poëte comme Euripide, qui n'a pas dans tous fes Ouvrages une feule Tragedie du premier genre le feul qui foit veritablement tragique. Il eft inutile de répondre que nous n'avons pas tous les Ouvrages d'Euripide ; car Ariftote qui rapporte cette louange l'autorife, non par des Pieces de ce Poëte qui fuffent du premier genre, mais par le dénouement fanglant de la plûpart de fes Pieces; cependant felon Ariftote même, ce n'eft pas la cataftrophe funeste,comme funefte, qui caracterife le premier genre ; ce n'eft point celle qui tombe fur des méchans comme dans la Tragedie du fecond genre, ou fur des bons comme dans les Pieces qui ne font d'aucun genre; c'eft uniquement la catas trophe funefte qui tombe fur des perfonnages imparfaits, & qui étant naturellement bons fe font malheureusement rendus coupables de quelques crimes.

Nous n'avons que deux mots à dire fur le fecond genre qui confifte à ex

pofer dans une double catastrophe la chûte des méchans & la délivrance des bons ce fecond genre a peu de difficulté, & il n'offre que la maniere la plus fimple d'inftruire les hommes par des exemples; mais comme Ariftote & Mr D. aprés lui l'ont fort bien remarqué, il ne donne as le plaifir propre de la Tragedie, qui eft d'exciter la compaffion & la terreur; ou s'il les excite dans le cours de la Piece, le dénouement en diffipe la caufe, puifque le malheur ne tombe pas fur les perfonnages pour lefquels on s'eft intereffe. Les Héros parfaits font admis dans ce genre de Tragedie, au contraire de l'autre où les Héros font toûjours fujets à quelfoibleffe criminelle. Ces Héros parfaits ne périffent point dans la Tragedie du fecond genre, mais ils font des modeles de conftance dans les adverfitez & dans le peril même de la mort où on les amene fouvent c'est ce qui a engagé le grand Corneille à regarder l'admiration comme une des paffions que la Tragedie peut exciter, en quoi il a eu trés-grande raifon, quoi qu'en dife MrD. a car fi felon Mr D. même, le Poême épique emprunte quelquefois de

que

que

a Poët. 141.

1 b Poet. -77.

la Tragedie la compaffion & la terreur, pourquoi la Tragedie n'empruntera-t'elle pas auffi quelquefois l'admi ration qui convient au Poême épique ? C'est par là même que nôtre Tragedie s'eft perfectionnée en profitant des lumieres que l'on acquiert de fiecle en fiecle, au lieu de s'en tenir miserablement, comme on voudroit nous y obliger, aux premieres idées des Anciens. C'est donc le mocquer que de dire comme Mr D. a que le feul avantage de la Tragedie Françoife fur la Grecque, eft de mettre quelquefois quatre ou cinq perfonnages dans une même Scene, au lieu que les Anciens n'en mettoient au plus que trois : un avantage plus réel que nous avons fur eux, eft que dans nôtre Tragedie. les Héros font auffi grands que dans le Poême épique, au au lieu que les tragiques Grecs fe contentoient de les rendre fimplement vertueux ou vitieux felon qu'ils le devoient être dans la conftitution de la Piece. Pour les méchans bien qu'on les puiffe peindre avec des couleurs fort noires fuivant leur caractere particulier; la majesté de la Tragedie demande neanmoins que l'on garde fur ce fujet certains ménagemens dont

a pag. 49. so.

il eft impoffible de donner des regles précifes; il fuffit d'indiquer là-deffus la précaution de Mr Racine, qui dans fa Préface de Britannicus paroît avoir eû quelque peine d'emploier le perfonnage de Neron, & qui a eu foin d'avertir qu'il a pris cet Empereur dans le point où il paffoit de la vertu au vice, & lorfqu'il n'étoit encore qu'un monftre naiffant. Et il ne faut pas dire que M Racine n'a eu ce ménagement que parco que Neron ne meurt pas dans cette Piece; c'eft uniquement pour ne pas irriter le fpectateur par la vûe d'un homme execrable fur tout dans un perfonnage important, & qui joue un long rôle

car d'ailleurs dans les Pieces du premier genre où le Héros imparfait fuc combe fous les méchans, il n'eft pas ne ceffaire que les méchans mêmes périf fent, fur tout s'ils demeurent tourmenrez de leurs crimes; mais quand même ils s'en repentiroient peu, ils ne font dans ces fortes de Pieces que de feconds perfonnages ou de purs inftrumens de la punition du Héros imparfait dont il s'agit principalement. Au refte Britannicus pris comme il eft, n'eft à proprement parler d'aucun genre, mais il étoit aifé de L'amener au premier que Mr Racine pa

roît n'avoir connu qu'à Phedre ; il eût fallu feulement prendre pour objet moral les Arrefts fuprêmes de la providence fur les fortunes humaines, & corduire Britannicus à fa perte pour y avoir voulu refifter par des entreprifes crimi nelles; la Piece confervoit toutes fes beautez qui font trés-grandes, & en acqueroit une plus generale. J'ofe affu rer que les principes que nous venons de pofer non feulement contribueront à rendre les Pieces plus belles, mais en produiront même un plus grand nombre

que l'idée vague de ceux qui ne de mandant aucun but moral dans les Poê mes, ne les regardent tous que comme de fimples tableaux des actions ou des paffions des hommes.

ARTICLE VI.

Du Spectacle inventé par les modernes fous le nom d'Opera.

L

A matiere du Poême dramatique ancien & moderne ne feroit pas achevée,fi nous ne parlions auffi des Opera qui font ordinairement des Tragedies en musique : & pour, fuivre la divifion des deux Articles précédents; nous exa

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