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ponfoient ne faifoient eclater leur joie qu'en chantant les louanges de celui de qui cette joie fi douce leur étoit venue. Les bouches & encore plus les coeurs étoient Sans ceffe remplis de fon nom; on fe crdioit heureux de le voir, on craignoit de le perdre; fa perte eût été la défolation de chaque famille.

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Je fçai les restrictions que la Religion mettroit à cette morale : l'Eglife eft à la verité fort éloigné de défendre le mariage, puifqu'outre les motifs fpirituels qu'elle propofe à ceux qui embraffent cet état, elle permet encore d'avoir égard à la naissance, aux biens à la conformité d'humeur, & à la beauté même de la perfonne que l'on choifit; Jacob n'ayant point été repris dans l'Ecriture d'avoir préferé Rachel à Lia, à caufe de fa beauté. Neque in facris litteris Jacob Patriarcha reprehenditur quod Rachelem ejus pulchritudine illectus, Lia pratulerit. Cat. Conc, Trid. de Matrim. cependant l'Eglife préfere le Celibat au mariage: Je n'ignore pas en particulier le paffage de Saint Auguf tin, où la fin du monde, qui proviendroit de la ceffation des mariages, eft appellée fin heureuse; mais je fçai aussi que gardant cette difpofition dans le

fond de l'ame, les Princes & les Magiftrats doivent favorifer le feul moyen legitime d'augmenter les peuples, & contribuer à l'execution du précepte naturel que le Créateur a fait au genre humain de croître & de multiplier a Celui même, qui fans être animé par les vûës les plus fublimes de la foi, feroit bien aife de voir diminuer le nombre des hommes, ne pourroit paffer que pour une ame noire, & pour une pefte dans la République. Ainfi, pendant que les Prédicateurs & les Directeurs portent les ames pieufes au dégoût & à la haine du fiécle present, auffi bien qu'à la mortification & à la pénitence; les Poëtes doivent porter les Princes à rendre les temps heureux & agréables, & à maintenir les Peuples dans une joie univerfelle: & ces deux principes s'accordent auffi-bien que la magnificence d'un homme qui donne un grand feftin, s'accorde avec la temperance que les conviez doivent garder. M. Quinault femble avoir eu cette vûe convenable aux Poëtes, dans plufieurs de fes cheurs, & fur tout dans ceux de fes Prologues que la fatyre a taxé de flaterie; comme fi les loüanges que les a Vide P. Alexan, de mas,

Cenfeurs mêmes ont donné au plus grand des Rois, n'étoient pas pouffées auffi loin que celles des Prologues de l'Opera; excepté peut-être qu'elles regardent moins le bonheur des Peuples, & qu'elles font moins propres à engager les Princes qui les entendront dans la fuite des temps, à imiter les Heros pour qui elles ont été faites. Comme il faut fuppofer le penchant qu'auront aux plai firs la plufpart des Princes, qui n'atteindront pas au même degré de pieté que celui qui gouverne aujourd'hui la Fran ce, les Poctes qui travaillent aux fpecta cles, peuvent fe regarder en un certain fens comme les premiers, & peut-être les feuls maîtres de morale qu'auront les Rois. Dans cette penfée ils doivent leur infpirer, & dans leurs Pieces & dans leurs Prologues, toutes les vertus qui peuvent contribuer au bonheur de leurs fujets, la bonté, la justice, le goût de la felicité & de la joie publique, fource affûrée de la felicité & de la joie du Prince même.L'Opera eft particulierement propre à infinuer ces vertus douces & populaires, comme la Tragedie eft propre à infinuer les vertus feveres & héroïques, & il me femble que Mr Quinault s'eft auffi-bien acquitté de l'un que le grand Corneille s'eft acquitté de l'autre. L'Opera rendu

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moral en fon efpece, a même cet avantage fur la Tragedie, que les vertus douces & populaires étant d'un ufage plus commun que les vertus feveres & héroiques, l'Opera fera ordinairement plus utile aux Princes que la Tragedie; & ce qui eft encore plus important, il les perfuadera mieux; car la vertu étant prefentée dans un Opera avec tous les charmes qui peuvent l'accompagner & chantée, pour ainsi dire, par la voix des Sirenes,ne fçauroit être rebutée. Il eft quelquesfois avantageux de prefenter le devoir aux Princes fous le nom de plaisir, car, comme il ne s'agit icy que des vertus humaines & civiles, c'eft à leur égard principalement qu'il eft vrai de dire que la douceur eft plus propre à inftruire les hommes que la dureté & la fechereffe : mais d'ailleurs un Ecrivain moral doit avoir quelquefois plus d'attention au fruit & au fuccés de les inftructions, qu'à l'honneur même qu'elles pourroient lui faire auprés des perfonnes rigides; je m'explique par un exemple: Quand je dirai, la Royauté n'est point fouhaitable, eû égard à la difficulté d'en remplir tous les devoirs, quel fera le fruit d'une maxime fi grande & fi fublime ? Dégoûtera-t-elle du Thrône ceux qui s'y ver

ront

ront appellez, quelque foibles & quelque imparfaits qu'ils fe fentent: Nullement; elle les engagera plûtôt à en abandonner les devoirs comme trop difficiles à remplir: au contraire, fi je dis que rien n'eft plus aifé aux Rois que d'être bons, que les plaifirs qu'ils cherchent ne les doivent point empêcher d'être juftes, qu'il n'y a même que l'exacte obfervation de la juftice qui puifle procurer à eux & à leurs fujets des plaifirs tranquilles; cette morale ne me fera peutêtre pas honneur auprés de certaines gens; mais il n'eft aucun Prince qui en l'écoutant ne fe condamnât lui-même s'il abandonnoit des devoirs aifés & dont l'accompliffement lui affûre une récompenfe fi agréable. Ma propofition a même fon point de verité; car bien que je fçache le prix de la vigilance & des détails, & que les ouvrages qui en font fentir l'importance foient excellens ; il eft certain qu'autant qu'il est difficile de gouverner les hommes par des principes de politique ou de reforme, autant il est aifé de les conduire par de fimples vûes d'équité & de bonté, qui ont prefque toûjours mieux réüffi que les plus grandes idées & les plus profondes médita

tions.

Partie III.

L

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