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prend une Analyfe fcrupuleufe d'Homére, de Virgile, d'Ariftote, & d'Horace, quatre Auteurs qu'il a quelquesfois bien de la peine à faire entrer tous enfemble dans fon fyftême. Ainfi le P. le Boffu n'a point donné à fon Livre cet air de fupériorité d'efprit, d'attachement à la raifon feule, de condamnation libre des fautes de fes Auteurs, qui lui étoit neceffaire pour foûtenir dignement le titre abfolu de traité de Poëme épique.

En effet, on doit appliquer à l'art poëtique en général cette grande & noble idée qu'Ariftote a eûe de l'Epopée & de la Tragedie. L'un & l'autre Poëme, dit-il, eft la réprésentation d'une action générale & univerfelle: c'est-àdire, que pour bien faire le plan d'un Poëme épique, ou d'une Tragedie, il faut d'abord imaginer une action ou un évenement, qui ne tienne à aucun homme particulier, & qui foit propre à infinuer dans les efprits une vérité morale: de même la poëtique doit être en elle-même un art tiré des lumiéres générales & univerfelles de la raifon, indépendamment de l'exemple d'aucun Poëte particulier, & dont le but foit de diriger les Ouvrages de Poëfie. Il ek a Poët. c. 9. Es les rem.

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vray que comme les actions & les évenemens que l'hiftoire véritable ou fabuleufe nous a confervez, aident l'imagination a en inventer de propres aux Poemes particuliers que nous voulons faire; ainfi les exemples des Poëtes connus aident à fixer l'idée d'un Poëme parfait dont on doit donner les regles dans une poëtique. C'eft par là qu'il eft arrivê, que les premiers exemples ont toûjours précédé les premieres regles: mais par la même auffi il doit arriver qu'un plus grand nombre d'exemples, lors qu'on en veut profiter, fournit des regles plus claires, plus certaines, & plus étendues. Il eft vrai, comme le dit le P. le Boffu (c. 1.) que les anciens n'ont pû prêvoir ce qui devoit paroître aprés eux; mais lui, P. le Boffu,qui a eû l'avantage de le voir, pouvoit s'en fervir, pour indiquer comment il feroit poffible de faire des Poëmes où il y eut plus de naud, plus de fituations, plus de mœurs, plus de tableaux des chofes humaines plus enfin de toutes fortes d'exemples qu'il n'y en a dans les anciens Poëmes. Car le Philofophe qui ne détermine point fon jugement par le jugement des autres hommes, s'inftruit neanmoins de tout ce qu'ont dit les autres hommes

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fur la matiére dont il traite; & il s'en

fert pour éclairer fon efprit, & même pour aider fon jugement.

Mais pour fuivre cette route il auroit fallu que le P. le Boffu eut abandonné le vieux fyftême qui fait regarder l'antiquité non-feulement comme le modele, mais comme le terme du beau: il devoit prendre au contraire celui qui fait regarder le Monde en général comme un homme en particulier qui a fon enfance, fon adolefcence, fa maturité, & à qui, dans fa maturité même, le temps donne tous les jours de l'expérience. Le fens commun fait comprendre que cela doit être, & l'examen fera voir que cela eft. Car enfin depuis la nailfance des belles lettres dans la Grece jufqu'à leur plus haut dégré dans l'ancienne Rome, pour ne pas aller maintenant plus loin, l'efprit humain a vifiblement fuivi ce progrés. Je place fon enfance au temps d'Homére, fon adolefcence au temps de la floriffante Athenes, & fa maturité au temps de Cefar & d'Augufte. Qu'Homére foit encore dans l'enfance de l'efprit humain, tout mon Livre en établira la preuve : Que les Atheniens du beau fiécle n'ayent été que dans fon adolefcence, c'est une dif

cuffion un peu longue pour une Préface, ainfi je n'en donnerai icy que les pre

mieres vûës.

On n'a qu'à lire leurs Auteurs pour connoître la légéreté de leur efprit. Je ne parle point de cette légèreté qui ruinoit leurs affaires, & que Démofthene leur reproche avec tant de force; je ne parle que de la légèreté de leur jugement en matiére de litterature. Platon feul en fournit des témoignages authentiques, & les remarques de Mr Dacier qui a traduit plusieurs Dialogues de ce Philofophe, aggravent fouvent l'énoncé du texte. Qu'est-ce que la fureur qu'ils avoient de courir aprés les Sophiftes, qui felon M1 D. même a n'étient propres qu'à leur gâter l'esprit

le cœur. Ils fe levoient avant le jour. comme on le voit dans le Protagoras, pour aller entendre fur le vice & fur la vertu des arguments alambiquez que Socrate refute par d'autres qui le font beaucoup davantage. L'entêtement de ce peuple admirateur avoit commencé en faveur de Gorgias chef de l'impertinente fecte des Sophistes; & il étoit allé fi lein que les Atheniens regardoient comme des jours de Fêtes a Bem. fur le Theages pag. 45%

ceux où il devoit parler; il gagnâ de quoi fe faire forger une ftatue d'or, & il fut porté dans fes obfeques par quinze garçons, & par quinze filles,qui chantoient alternativement fes loüanges . Nous pouvons neanmoins juger de fa force par deux petites harangues qui nous reftent de lui dans les recueils des Orateurs Grecs, l'éloge d'Helene, & l'apologie de Palamede.

Mais que n'a-t on point dit de la paffion des Atheniens pour leurs piéces de théatre; leur admiration pour ce genre de Poëfie n'étoit pas une approbation mêlée de plaifir comme parmi nous; c'étoit une fiévre chaude, telle à peu prés que la maladie épidemique qui faifoit reciter aux Abderitains des vers d'Euripide en pleine ruë. Les Atheniens dit Mr Db. étoient fi fous de Spectaeles, qu'ils ne pouvoient s'en laffer, & qu'ils faifoient jouer douze on ou feize Tragedies dans un feul jour. C'est par la même que je les recufe abfolument pour juges en cette matiére. Il n'y a que la tranquillité de l'efprit & un goût rai fonnable des chofes qui en faffe porter

a Vid. Plat. in Gorg. Plin. L. 33. c. 4. oælium Rhodig. Liv. 11. c. 25. £ l. 19. c. 20. ES alios. b Sur la Poëtique, page 113.

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