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nes comme celles-là, il faudroit le mettre avant l'adolefcence de l'efprit humain ; car nous aurions de la peine à trouver dans Homére même une fi grande indécence de difcours; quoyque d'un autre côté on ne ne voye pas encore dans Homére de raifonnement auffi long & auffi foûtenu que celui de cette Scéne. Mais il s'agit moins ici de ces deux Poëtes, que du génie de ceux qui leur applaudiffoient. Il ne fuffiroit point même que les Grecs n'euffent pas approuvé leurs Poëtes en tout. Il y a des fautes de telle nature qu'elles ne fe commettent point chez des nations veritablement polies. Le Public permet affez fouvent à nos Poëtes d'être froids & infipides; mais il ne leur permet jamais de violer les premieres regles de la bienféance, comme les Atheniens le permettoient aux leurs.

Je devrois donner ici un craïon de la Comédie gréque telle que nous la voïons dans Ariftophane; mais heureusement la chofe fe trouve parfaitement executée dans la Critique du Théatre Anglois dont nous avons une traduction trésélégante, à laquelle je renvoye le Lecteur depuis la page 59. jufqu'à la page 82. L'Auteur original n'eft point pré

venu contre les Grecs, puifqu'au contraire il loüe Euripide a de l'extrême modeftie de fes difcours; ayant oublié apparemment les Chœurs des Bacchantes dans la Tragédie qui porte ce nom, & les difcours de Siléne dans le Cyclope. Cet oubli favorable luy donne plus d'autorité contre Ariftophane qu'il convainc non feulement d'un Athéifme découvert, & d'une diffolution outrée, mais encore d'un trés - grand défaut de jugement. Si l'on examine bien fes Poëmes, dit-il b, On trouvera que les caraEtéres n'y font point propres, on n'y font point uniformes, que d'abord il y entre mal, & qu'il les fontient mal. Cette décifion eft trés-jufte, car fi l'on voit dans Aristophane tout le jeu de nôtre ancienne Comédie Italienne, il en a auffi tout le défo.dre. J'admire la propofition de Mr Racine, lorfque dans la Préface des Plaideurs, il dit, que quand les Atheniens avoient ri de quelque chofe, ils étoient bien füûrs de n'avoir pas ri d'une fottife. Je ne fçai pas quel nom Mr Racine vouloit qu'on donnât à des plaifanteries qui rouloient éternellement fur les ordures, en quelque fens que puiffe prendre ce mot.

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l'on

a p. 57.

1.bp. 70.

Les Latins ont évité tous ces incon

véniens. Je ne crois pas qu'il foit poffible de rien ajoûter à la nobleffe de leurs pensées, à la fineffe de leurs fentimens, & à la jufteffe de leurs expreffions; la plupart d'entr'eux ont porté les bienféances à un trés - haut point. Malgré la décision de Mr D. qui a dit que les Latins n'ont pù furpaffer les Grecs, Je m'en rapporte un peu davantage à Ciceron, qui dit au contraire que les Latins, ainfi qu'on le pouvoit reconnoître à plufieurs marques, avoient eû beaucoup plus d'efprit que les autres hommes, de quelque nation qu'ils euffent été. Et ailleurs; J'ay toûjours penfé, dit-il, que nos Latins ont inventé avec plus de fageffe que les Grecs, & qu'ils ont perfectionné ce qu'ils ont emprunté d'eux, dans toutes les matieres qu'ils ont jugées dignes de leur application. INGENIA verò noftrorum hominum, ut multis rebus poffumus judicare multum cæteris hominibus omnium gentium præftiterunt b. MEUM judicium femper fuit noftros aut inveniffe per fe Sapien. tius quàm Gracos aut accepta ab illis fem

a Dans la Préface de la nouvelle Edition d'Horace p. IIf.

b de Orat. Lib. 1. ̧ ̧

ciffe meliora. Qua quidem digna ftatuiffent in quibus elaborarent a. Ciceron avoit raifon de parler ainfi même avant que d'avoir vû les grands Hiftoriens & les grands Poëtes de fa nation. Car dés que les Latins fe font véritablement appliquez à l'Hiftoire & à la Poëfie; en ces deux genres comme en tous les autres ils ont infiniment furpaffé les Grecs: A l'égard même de la Tragedie fur laquelle on peut m'arrêter, ils n'ont fait aucune difficnlté de comparer le Thyefte de leur Varius aux plus bel les pieces du Théatre d'Athenes.

,

Les Partifans d'Homére ne doivent point s'opposer à nôtre gradation : elle eft l'unique moyen de le fauver ; & c'eft ainfi que la Philofophie même lui fournira feule fes véritables excuses & fon véritable éloge. Ses admirateurs l'ont perdu en foûtenant que fes Ouvrages font parfaits en eux-mêmes, & par rapport à tous les temps: mais le Philofophe faifant une de fes principales occupatious de l'étude de l'efprit humain fçait fe tranfporter aux fiécles les plus éloignez, & en y reconnoiffant l'ignorance & la groffiéreté qui y étoit neceffairement attachée, il justifie la pera Tufc. quaft. lib. I.

fonne de toutes les fautes qu'on peut rejetter fur le temps. Je fais voir dans le cours de cet Ouvrage qu'Homéré par rapport à fon propre fiècle eft coupable fur certains chefs, foit à l'égard des Dieux ayant rendu Jupiter méchant, & Minerve folle, quoique la Fable donnât lieu de faire de l'un & de l'autre des peintures plus favorables; foit à l'égard des hommes, en nous propofant un Héros feroce, injufte, & cruel, quoi qu'on eut avant lui une idée plus faine de l'heroïfme j'ay remarqué les articles fur lefquels il lui étoit aifé de corriger fon fiècle par les vûës les plus fimples du fens commun & de la morale naturelle: on conclura d'un nombre infini d'obfervations particulieres que je ferai dans le cours de ma Critique, que c'étoit une imagination naturellement dérangée; & qu'en quelque fiéclé qu'il fut né, ce défaut ce feroit manifesté par quelque endroit. Mais à tout prendre je ne chicannerai point ceux qui avoüant les fautes que la droite raifon voit dans Homére, ne difputeront que. du Poëte au fiécle. Je leur accorderai même qu'Homére devoit avoir beaucoup de genie pour faire ce qu'il a fait dans le temps où il a vêcu; parce qu'au

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