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traité de Phyfique ou il ne s'agirolt que d'éclairer l'efprit: en un mot, il ne juge pas de la Poefie en phyficien, ni de la Phyfique en poëte, mais il juge de la Poësie & de la Phyfique en Philofophe.

A l'égard de laPoëfie dont il s'agit particulierement ici; comme elle est en un fens à la portée de tout le monde,& qu'un grand nombre d'Auteurs on travaillé depuis long-temps à la perfectionner par leurs préceptes ou par leurs exemples; fes véritables principes font prefque tous développez. Le Philofophe n'accepte pas pourtant toutes les regles qu'il trouve écrites dans les Auteurs mêmes les plus fameux, parce qu'il ne les trouve pas toûjours conformes à une raifon fuperieure & univerfelle, à laquelle il ne manque jamais de les rappeller; comme les jurifconfultes rappellent les loix civiles à l'équité naturelle, dont elles doivent être des expreffions. Sur ce principe il remarque que les deux Ouvrages dont on veut que les préceptes faffent loi pour l'épopée, je veux dire la Poëtique d'Ariftote & le traité du Poëme épique du Pere le Boffu, quoiqu'ils contiennent des réfléxions utiles, n'ont pas neanmoins les qualitez généra

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les qui pourroient leur donner une véritable authorité dans cette matiére. Ariftote eft d'une obfcurité fi impéné-. trable que nous fommes pleinement livrez aux fens qu'il plaît à fes traduc,teurs ou à fes commentateurs de donner à fes paroles. C'eft gratuitement que Mr Da. dit que Mr Corneille feûtern des regles d' Ariftote à fait revenir la Tragedie de fa longue défaillance: on voit dans le cours des remarques de Mr D. même, que Corneille n'a pas pris un feul mot de quelque importance dans la Poëtique au fens que Mr D. donne pour véritable, & duquel feul parconfequent on peut tirer inftruction; ou que s'il en a pris quelqu'un dans fon véritable fens, il l'a combattu; preuve certaine que les préceptes d'Ariftote ne font ni clairs ni fenfibles. Il eft merveilleux qu'on exige de nos Auteurs qu'ils fe rendent intelligibles dans les matiéres les plus profordes de la Phyfique & de la Geométrie, & qu'on trouve bon qu'Ariftote foit obfcur en parlant de la Tragedie & des autres divertiffement publics. La féchereffe feule,& à plus forte raifon quand elle eft jointe à l'obscurité, eft un défaut trés- confiderable dans ceux qui a Préf. fur la Poët. p. 23. ä iiij

entreprennent de donner des regles fur l'éloquence où fur la Poëfie. Leur foin principal doit être d'infpirer l'un & l'autre en les enseignant. Quintilien a remarque que les anciens Auteurs qui ont écrit de l'éloquence avec le plus de foin en font eux-mêmes les plus éloignez. Ce n'est point affez dire, ils font auffi les plus inutiles pour la communiquer aux autres. L'expérience apprend que les préceptes ne s'impriment dans l'efprit & dans la mémoire qu'à proportion qu'ils font heureufement & élegamment expofez. De-là vient qu'on s'aide beaucoup plus de la Poëtique d'Horace & de celle de Mr Defpreaux que de la Poëtique d'Ariftote, parceque , parceque dans ces deux là, les préceptes font énoncez d'une maniére qui aide à les retenir, & qui invite à les répeter.

Cette obfcurité & cette féchereffe qui regne dans la Poëtique d'Ariftote a donné lieu à Caftelvetro de ne la regar

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que comme un plan ou un sommaire de la véritable que nous n'avons plus: & comme ces deux vices, caractérisent affez tout ce qui nous refte fous le nom d'Ariftote; ils ont jetté dans un doute général quelques Lecteurs que les té

a Liv, 8. in Procemio:

moignages de l'antiquité ont prévenus en faveur de ce Philofophe. Car enfin, difent-ils, eft-ce-là l'homme que CiceTon appelle un fleuve d'or d'éloquence, Veniet flumen orationis aureum fundens Ariftoteles a; & que Quintilien trouve admirable pour la douceur du ftyle, eloquendi fuavitate b. Strabon ? nous apprend d'ailleurs les altérations que les Ouvrages d'Ariftote ont fouffertes. La difcuffion de ce point de Critique n'ekt pas de ce lieu, & on la trouvera toute faite dans le Dictionnaire de Bayle fous le mot Tyrannion. Il me fuffit de remar quer icy que cette incertitude qu'on pourroit étendre fur bien d'autres morceaux de l'antiquité, expofe plaifamment les admirateurs à s'extasier fur des Ouvrages gâtez ou peut-être méme compofez par des ignorans, dont les Auteurs qu'ils réverent n'auroient pas voulu faire leurs copiftes. C'eft un inconvenient auquel le Philofophe n'eft jamais expofé, parceque le nom de l'Auteur eft toûjours indifferent pour lui, & qu'il ne juge jamais d'un Ouvrage que par l'Ouvrage même.

Le P. le Boffu l'emporte beaucoup fur a Acad. quaft. L. qui infcribitur Lucullus. b L. 1o. c. L 1 c L. 13.

Ariftote tel que nous l'avons, par l'efprit d'ordre & de clarté qui regne dans fon traité du Poëme épique:s'il eft obfcur en quelques endroits, c'eft par l'atachement fervile qu'il a pour les préceptes d'Ariftote & par la loi qu'ils'eft impofée de loüer ou d'excufer Homére en tout. C'eft cet affujetiffement même qu'un Philofophe regarde comme un défaut effentiel. Dés le premier Chapitre de fon Ouvrage le P. le Boffu trace les bornes de fon terrain: & quoi qu'il dife en fa premiere phrase que les arts ont cela de commun avec les Sciences qu'ils font fondez comme elles fur la raifon, il donne à cette maxime fi judicieufe, cette reftriction pitoyable; fçavoir, qu'au lieu que les feiences ne laissent point à ceux qui les cultivent la liberté de prendre d'autres guides que les lumiéres naturelles, les arts au contraire dépendent en beaucoup de chofes du choix & du genie de ceux qui les ont inventez: de forte que, quoique la rafon ait pû prescrire à Lart poëtique, l'invention des Poëtes & le choix qu'il leur a plû de faire, luy ont donné sa matière & fa forme. Là-deffus il déclare qu'il ne s'arrêtera point à tout ce que l'on a inventé dans ces derniers temps; & écartant de lui toutes les lumiéres qu'il en pourroit tirer, il entre

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