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Anciens ont dit les uns aprés les autres, comme Mr Defpreaux. Nous fommes paffionnez admirateurs d'Homére. Mais la différence qu'il y a entre eux & lui, c'eft que les anciens parloient ainfi dans des fiécles foumis à l'empire du préjugé, & où l'on n'avoit pas encore l'exemple d'un vieil objet d'admiration que le pur examen de la raison eut fait tomber; au lieu que Mr Defpreaux avoit prêté fa propre main à la chûte d'Ariftore.

Il faut avouer encore que le goût de la Géométrie qui a manqué à la plûpart des admirateurs outrez de l'antiquité, & qui a été extrêmement cultivé dans ces derniers temps, a fort accoûtumé les efprits à pénétrer le fond des chofes, & à n'admettre que l'évidence on cite quelquefois les grands Géométres dans les Ouvrages de Géométrie, & on les cite même avec honneur: mais c'eft pour indiquer leurs éclairciffemens ou leurs démonftrations, & nullement pour impofer au Lecteur par leur nom: On ne dit jamais qu'il ne faut pas revenir fur une propofition de Géometrie, aprés Archimede ou Mr Neuton. C'est cet ef prit que Me D. veut exclure de l'exa

men d'Homére, & ce n'eft pas fans jufte caufe. La Géométrie femble avoir porté malheur à ce Poëte de tout temps, & les deux plus redoutables Cenfeurs qu'il ait eû dans l'antiquité, fçavoir Pythagore & Platon,

étoient Géo

métres. C'eft en ce fens que l'on doit s'écrier: Quel fleau, non pour la Poë

fie,

mais pour Homére qu'un Géométre. J'ai pourtant d'abord à remercier Me D. de la réputation de Géométre qu'elle me donne: bien que la place que j'ai l'honneur d'occuper dans l'Académie des fciences, m'ait engagé à me mettre en état d'entendre, & même d'expofer les découvertes que les plus grands hommes de l'Europe font dans toutes les parties des Mathématiques; Je ne fuis pourtant pas plus Géométre que Poëte, puifque je n'ai inventé ni dans l'un ni dans l'autre genre. Mais fi Me D. me fait honneur,elle fe fait tort à elle-même, en marquant qu'elle croit un Géométre incapable de parler d'Homére; & fur-tout en prenant là-deffus un ton qui va à tourner en ridicule la premiere des fciences humaines, & la feule qui mérite véritablement le nom de fcience: devoit-on voir ce trait dans l'Ouvrage d'une Dame qui tient un rang

dans la Litterature? Elle a fans doute oublié la maniere dont Me Dodard a une des grandes lumiéres de l'Académie des Sciences réfuta Monfieur fon

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époux, lorfqu'il voulut railler ceux qui s'appliquoient aux expériences de Phyfique. Il eft trés permis à Mr & à Mc D. d'ignorer ce qu'il leur plaira; chacun étudie ce qu'il veut, & ils fe font même diftinguez dans le d'étude genre qu'ils ont choifi: mais il n'eft permis à perfonne de méprifer ce qu'il ne fçait pas. Les hommes les plus profonds d'ailleurs en tout genre d'érudition ont étudié la Géométrie, & l'on peut dire d'abord que tous les grands Sçavans l'ont fçeue, Empédocle, Ariftote, Eratofthénes chez les Grecs; Varron & Nigidius chez les Romains; & dans les derniers temps Jofeph Scaliger, le P. Petau, ou fi nous voulons les prendre dans l'Academie Françoife, feu M' de Meziriac, & Mr Huet Evêque d'Avranches qui vit encore. Je pourrois alleguer en un autre fens des Géométres de la premiere claffe, qui ont cultivé toutes fortes de Litterature, Mr Fermat Mr Bouillaud, Mr Barrou, M: Vvallis, Mr Leibnits, Mr Halley: mais puifqu'il s'agit ici de Poëfie, j'alleguea Mem. de l'Ac, des Sc. 1700. p. 281.

rai encore plus volontiers des Géométres qui ont fait parfaitement, ou des vers latins,comme Fracaftor, Frischlin, & Mr Huet déja nommé, ou des vers françois, comme Mr de Malezieu, & Mr de Fontenelle. Je ne dirai point ici qu'il y a des parties de l'érudition dont on eft abfolu ment exclu, fans la Géométrie, comme la Chronologie, qui ne peut eftre profondément connue fans l'Aftronomie: mais il eft important de remarquer qu'il y a cette différence des autres fciences à la Géométrie, que les autres fciences fe renferment en elles-mêmes, au lieu que la Géométrie donne ordinairement à l'efprit une certaine rectitude qui s'étend à tout. La jufteffe d'efprit regardée comme une difpofition naturelle, ainfi qu'elle l'eft en effet dans fon principe, eft un avantage que peuvent s'arroger, & que s'arrogent effectivement ceux qui en font le plus dénuez : cependant l'étude de la Géométrie, marquant certainement un goût particulier pour le vray en ceux qui s'y font appliquez, & augmentant d'un confentement unanime la jufteffe naturelle de l'efprit, donne en toutes les matiéres où il entre du raifonnement, une fuperiorité de fait & fans replique au Geo

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métre fur celui qui ne l'eft pas. Pythagore l'avoit crû ainfi, puifqu'il avoit fait mettre fur la porte de fon Ecole oudis αγεωμέτρητος εἰσίτα. Or' aucun n'entre ici fans eftre Geométres quoiqu'au fond il s'agit plus de morale que de toute autre difcipline dans cette Ecole. Platon à qui quelques-uns même attribuent la fentence qui précéde, s'eft expliqué plus au long dans le 7e Livre de la République : Ceux, dit-il, qui font nez Mathematiciensa, ont ordinairement plus d'ouverture que les autres pour tontes fortes de Sciences. Mais ceux même qui font naturellement pefans, quand ils n'acquerroient dans l'étude des Mathematiques aucune difpofition pour les autres connoiffances, y gagnent du moins de fe donner plus d'efprit qu'ils n'en avoient. Et un peu plus bas, aprés avoir dit que les Citoyens de la République ne devoient point méprifer la Géométrie, il ajoûte que la Géométrie a des utilitez éloignées, Tápegα ultrà ipfius propofitum b, qui font trés confiderables, & qui s'étendent sur toutes fortes de fciences; de telle forte c'eft toujours Platon qui parle, que nous

a λogioTixo Arithmetici. Marcil. Fıc. b Id.

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