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deffein que de plaire, & que s'il s'y trouve quelque inftruction, elle n'y est qu'à titre d'ornement.

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On a prétendu prouver qu'Homere s'étoit propofé d'inftruire dans fes deux Poëmes; que l'Iliade ne tendoit qu'à établir que la difcorde ruïne les meilleures affaires, & que l'Odiffée faifoit voir combien la présence d'un Prince est néceffaire dans fes états. Mais ces verités se fentent peut-être mieux dans la fimple expofition que j'en fais, que dans I'Iliade & l'Odiffée entieres, où elles me paroiffent noyées dans une varieté infinie d'évenemens & d'images.

Je fuis contraire en cela, à des Auteurs d'un fi grand poids, que je n'expose mon fentiment qu'avec défiance, quoique j'aye Platon pour moi. Ilbanniffoit Homere & tous les Poëtes de fa République; Pithagore même ne lui pouvoit pardonner non plus qu'à Hé. fiode, d'avoir parlé indignement des Dieux; & il les croyoit éternellement punis dans le Tartare. Si les apologistes du poëme épique avoient raifon, Homére eût dû tenir le premier rang dans

les vûës de Platon; mais ce philofophe ne trouva dans la Poëfie qu'un plaifir fouvent dangereux, & il crut que la morale y étoit tellement fubordonnée à l'agrèment, qu'on n'en devoit attendre aucune utilité pour les mœurs.

Pour moi j'avoue que je ne regarde point les poëmes d'Homere comme des ouvrages de morale, mais feulement comme des ouvrages où l'Auteur s'eft propofé particulierement de plaire ; excellents dans leur genre, par rapport aux circonftances où ils ont efté faits: comme la fource de la fable & de toutes les idées poëtiques; en un mot, comme des chefs-d'œuvres d'imagination, remplis de faillies heureuses & d'une éloquence vive, où les grecs & les latins ont puifé, & que les modernes fe font encore honneur d'imiter.

Voilà ce que je pense auffi à propor tion de la plupart des ouvrages de poëfie qui nous font reftés. Les auteurs y ont voulu plaire, & ils ont atteint leur but. Ce n'est pas que dans ces fortes d'ouvrages on ne pût mettre le vice & la vertu dans tout leur jour, & infpirer

ainfi

pour l'un & pour l'autre l'amour qu la haine qu'ils méritent; mais les Poëtes ont eu rarement cette attention. Au lieu de fonger à réformer les fauffes idées des hommes, ils y ont la plûpart accommodé leurs fictions, & fur ce prin cipe ils ont donné fouvent de grands vices pour des vertus, contents de décrier les penchans les plus honteux & les paffions les plus groffieres.

Mais enfin, quelque ufage qu'on ait fait communément de la poefie, elle n'en eft pas moins indifférente en ellemême, & il dépendra toûjours d'un auteur vertueux de la rendre utile. Ainfi Ménandre réduifit à une peinture innocente des mœurs, la Comédie où régnoit auparavant la médifance. Ainfi Virgile le fage imitateur d'Homere, foûtint mieux que lui la majefté des Dieux, & imagina un Héros, je ne dis pas plus agréable, mais plus digne d'imitation qu'Achille. Ainfi Pindare dans ce qui nous eft refté de lui, fit fervir à une faine morale, l'Ode qui jufques-là avoit fervi souvent à la voluplé & à la débauche.

Quelques perfonnes fe fcandalifent de cette indifférence où je laiffe la poëfie. Ils la déterminent uniquement à inftruire, & fi on refufe de la confondre comme eux avec la philofophie,leur zele ira bien-tôt jufqu'à en faire la théologie la plus fublime. Voici leurs raifons. Les premiers vers ont été employés à la loüange des Dieux. Les Poëtes ont été les premiers philofophes. Je reçois volontiers ces faits, fans en admettre les conféquences. On pouvoit louer les Dieux en profe, & fe fervir du langage ordinaire pour enfeigner la verité. Ces matieres ne font donc point effentielles à la Poëfie, qui n'eft par elle-même qu'un moyen de les rendre agréables. Les premiers Théologiens comme les premiers Philofophes, onteu raifon de s'en fervir pour intéreffer les hommes par l'agrèment,à ce qu'ils vouloient leur apprendre. Il eft toûjours certain qu'entant que Poëtes, ils ne fe font propofé que de plaire les autres vûës qu'ils avoient, leur méritoient d'autres noms.

On infifte, & l'on dit encore d'après les Anciens, que la Poëfie eft un Art',

A

& que tout art a néceffairement une fin utile. Ce qu'il y a de clair dans cette propofition, c'eft que tous les Arts ont une fin l'utile qu'on ajoûte ne fert qu'à rendre la proposition équivoque; à moins que fous ce nom vague d'utile, on ne veuille auffi comprendre le plaifir, qui eft en effet un des plus grands befoins de l'homme.

Qui peut nier, par exemple, que la Mulique ne foit un art; & qui cependant, s'il ne veut fubtilifer, pourroit y trouver d'autre utilité que le plaifir? La Peinture a auffi fes regles, quoiqu'elle ne tende qu'a flatter les fens par l'imitation de la nature. Les actions vertueufes qu'elle reprefente quelquefois ne lui font pas plus propres que les licentieufes,qu'elle met aufli fouvent fous

les.

yeux. Le Carache n'eft pas moins peintres dans fes tableaux cyniques, que dans fes tableaux chrétiens; & de mê me, pour revenir à la poëfie, la Fontaine n'eft pas moins Poëte dans fes contes que dans fes fables; quoique les uns foient dangereux& que les autres foient

utiles.

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