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On dira peut-être que je ne penfe pas affez noblement de monart. Le mérite n'eft pas a penfer noblement des choses; mais à les voir comme elles font, fans fe les affoiblir, ni fe les exagérer. Je ne cherche à faire honneur a mon art,qu'en l'employant à mettre en jour la verité & la vertu. C'est ce que je me fuis propofé dans ces Odes: fur tout, dans celles où l'imitation ne m'a pas fait violence.

CEUX qui ont pris parti pour l'ode, L'ode. & qui lui donnent le premier rang dans la poëfie, s'imaginent qu'elle ne doit chanter que les louanges des Dieux & des Héros ; & ils tirent de ces sujets mêmes à quoi ils la bornent, une preuve de fa dignité.

Mais il faut convenir que cette idée n'a point de fondement folide: elle vient fans doute comme mille autres erreurs fur les ouvrages d'efprit, de ce qu'on a pris pour l'effence de l'ode, la matiere de celles qui ont eu d'abord le plus de fuccès.

Le public qui oûtre tout, & qui n'entre jamais dans aucun détail, croit

d'ordinaire que l'ouvrage qui lui plaît le plus dans un genre, eft la perfection de ce genre là, & il ne veut plus rien approuver dans la fuite, que fur le modele de ce qui a faifi une fois fon ad

miration.

Ainfi s'établirent les régles du poëme épique, d'après Homére: celle de la Tragédie, d'après Sophocle; celles de l'églogue, d'après Théocrite: & celles de l'Ode d'aprés Pindare: Régles utiles & judicieuses; pourvû qu'on n'exigeât pas pour elles un refpect aveugle, & que fans fe révolter contre les exceptions. qu'on y peut faire, on fut toûjours prêt d'admettre ce qu'on y peut encore ajoû

ter.

Pindare ne pouvoit choifir d'occafion plus éclatante pour fes vers, ni plus utile pour lui, que les Jeux Olympiques. Ily pouvoit recevoir en un feul lieu les fuffrages de toute la Gréce; & les vainqueurs excitez à la liberalité par leur propre gloire, payoient les louanges avec profufion. Ainfi Pindare qui étoit né intereffé (c'eft un d'éfaut qu'on lui reproche, & dont il fe vante lui-même)

s'appliqua à célébrer ces vainqueurs. Mais comme leur mérite trop borné & trop uniforme, ne fourniffoit pas de lui-même affez d'étenduë au discours il fe jetta fouvent à l'écart fur la loüange des Héros, dont prétendoient defcen dre les fiens, & fur celle des Dieux qui protégeoient, ou qui avoient fondé la Ville d'où ils étoient.

Voilà la matiére des Odes qui nous font reftées de Pindare; mais finous n'avions perdu fes odes amoureuses & bachiques, où peut-être étoit-il plus paffionné que Sapho, & plus gracieux qu'Anacréon, on croiroit aujourd'hui l'amour & la bonne chere, des matieres effentielles à l'ode, avec autant de rai. fon que la loüange des Dieux & des Héros.

Horace qui fe fit un caractere original d'une imitation compofée de Pindare & d'Anacréon, ne borna fa lyre à aucun fujet, & il fit voir par une varieté toûjours élégante,que rien n'eft indigne de la nobleffe de l'ode. Il defcendoit fouvent des sujets les plus fublimes aux moins ferieux; & il fe fçavoit fans doute

auffi bon gré de la grace qu'il donnoit aux uns, que de la force qu'il donnoit

aux autres.

J'aurai occafion dans la fuite de parler plus au long de Pindare& d'Horace; il me fuffit à préfent de remarquer qu'Horace n'a point crû qu'il y eût de fujets particuliers à l'ode. Les fiennes roulent indifféremment fur les louanges des Dieux & des Héros, fur la galanterie, la table, la morale, & même la fatyre. Voilà l'ode en poffeffion de tout; & l'on juge aifément delà, que ce ne font point les fujets qu'elle traite, qui forment fon caractere particulier.

Ce n'eft pas que le choix des fujets foit indifférent, ils ont plus de véritables beautés les uns que les autres; ils rendent les ouvrages plus ou moins eftimables, quoiqu'ils n'en changent pas la nature.

Ce que l'ode a d'effentiel, eft préci fément la forme ; j'entens ce nombre & cette cadence, differente felon les langues, mais qui dans quelque langue que ce foit, lui eft toujours particuliére.

Cette mesure chez les Grecs n'étoit

pas

pas uniforme; elle varioit felon les chants fur lefquels on compofoit: car toutes les Odes fe chantoient alors. Le terme d'ode ne fignifie même que chanfon. Il y avoit auffi chez les Latins plufieurs mesures; mais il n'eft pas certain que toutes les odes s'y chantaffent.

Parmi nous, elles ne fe chantent point, &leur harmonie confiste seulement dans l'égalité des stances, dans le nombre & l'arrangement des rimes, & dans certains repos mefurés qu'on doit ménager exactement dans chaque ftrophe. Il s'enfuit de cette harmonie que l'ode n'est pas faite pour -être lûë feulement, & qu'on n'en peut fentir toute la grace qu'en la récitant avec une attention exate à fa cadence & à fes repos.

Cependant cette mefure ne remplit pas tout le caractere de l'ode. Il y faut ajoûter la hardieffe du langage, qui ne lui eft commune qu'avec le poëme épique, lorfqu'il ne fait pas parler fes per fonnages. Le poëte y eft poëte de profeffion, au lieu que dans les autres ouvrages, il emprunte, pour ainfi dire, un efprit & des fentimens étrangers; & il Tom. I.

C

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