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Rin

ce à la mefure, ce devoit être une fatigue pour l'efprit de fe fentir arrêté fur un fens interrompu. Ce qui me confirme dans ma pensée, c'est qu'Horace est plus retenu fur cet ufage, qu'il ne l'auroit été, s'il l'eût crû fans conféquence. Je n'ai rien dit de Sapho ni d'Alcée, parce que leur caractere eft déja affez peint dans une des odes que j'ai traduites d'Horace. Ainfi il ne me reste qu'à dire un mot de l'ode françoife, & des auteurs qui ont acquis le plus de réputation dans ce genre.

Je ne remonterai que jufqu'à Ronfard. fard; peut-être eft-ce déja trop. Ses ouvrages ne font plus lûs, & je ne crois pas que beaucoup de gens veuillent juger par leurs yeux de ce que j'en vais dire.

Cependant j'oferai avancer qu'il a imité Pindare en homme qui connoiffoit fon modéle; jufques-là que ce qu'il emprunte d'Horace devient pindarique entre fes mains. On retrouve par tout dans fes odes, ces images pompeuses, ces graves fentences, ces métaphores &

ces

ces expreffions audacieufes, qui caractérifent le poëte thébain. Il paroît même affez faifi de cet enthoufiafme qui entraînoit Pindare, & le mauvais fuccès de l'imitateur vient moins d'avoir mal fuivi fon modele, que de n'avoir pas connu le génie de la langue françoife.

Ronfard ne laiffa pas d'être l'admition de fon fiécle: mais fa gloire ne lui furvêcut guères, & il eft enfin tómbé dans un oubli, dont il n'y a pas d'apparence qu'il fe releve. Il eft vrai que Pindare eut à peu près la même fortune; & au rapport d'Athenée, du tems d'Eupolis le comique qui vivoit cent ans après ce poëte, fa mufe étoit déja tombée dans le mépris ; mais elle reprit bien-tôt l'empire, que perfonne depuis n'a ofé lui contester.

Il n'y a pas lieu d'efperer une pareille révolution pour Ronfard; & d'autant moins, qu'il a été fuivi d'un Poëte pour qui le bon goût a réuni tous les fuffrages, & plus digne fans comparaifon de fervir de modele à l'ode françoife.

Mal

Malherbe nous a fait connoître dans les fiennes le prix des pensées raisonna- herbe,

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bles, & des expreffions propres & naturelles; car pour ne pas entrer dans un trop grand détail, je laiffe Mainard & Racan, quoique dans les odes du dernier il y ait beaucoup de nobleffe, & dans celles de l'autre, beaucoup de netteté: C'eft en quoi fur tout excella Malherbe. Son fens fe préfente de lui-même ; & le tour heureux de fes phrafes met pour l'ordinaire fa penfée dans tout fon

jour.

Quoique nourri des beautez des Anciens, il en a rarement paré fes ouvrages; content de s'en être fervi à fe perfectionner le goût, il femble avoir fongé dans la fuite à les égaler plutôt qu'à les imiter. Ses defcriptions font vives, fes comparaisons juftes & choifies, fes figures variées; mais il ne s'en permet jamais de trop hardies, & fage jufques dans fes emportemens, comme l'a dit un grand critique, il a prefque toûjours fait voir qu'on peut être raisonnable fans être froid.

Je fuisfurpris cependant qu'après fes. ftances fur les larmes de faint Pierre, imitation où il paroît adopter avec pla i

fir les mauvaifes pointes de fon original, il ait pû revenir fi-tôt au judicieux & au vrai. Je fçai bien que dans les ftances amoureuses, il en eft encore forti plus d'une fois, mais l'amour étoit alors, & a été long tems après, l'écueil des poëtes. Au lieu de fentimens naturels, ils n'employoient que des penfées fubtiles & tirées qui n'éfleuroient pas feulement le cœur. Voiture même n'eft plus Voiture dans fes lettres amoureuses. Les Auteurs de fon tems ne fçavoient que donner la préférence à leur maîtreffe fur l'Aurore & fur le Soleil; prefque tous les ouvrages de poëfie rouloient fur cette feule idée, & je ne comprens pas comment on a pû remanier tant de fois une pensée qui devoit ennuyer dès la prémiere.

Malherbe en matiere d'amour, dit fouvent des chofes auffi outrées. Je défefpere de l'atteindre dans fes odes héroïques ; mais je ne voudrois pas l'imiter dans fes odes amoureufes: car j'appelle odes ce qu'il n'a appellé que ftances. Il croyoit apparemment que l'ode ne convenoit qu'à de grands sujers.

On pourroit encore reprochet à Malherbe un défaut qui lui eft commun avec la plupart des auteurs; c'eft de s'être loüé lui-même auffi fortement qu'il méritoit d'être loüé par les autres. Cet usage a commencé avec les poëtes, & on diroit qu'ils fe font copiez depuis les uns les autres, pour célébrer leur mérite & fe couronner de leur propre main. Ils félicitent le fiécle qui les a vûs naître; ils jouiffent d'avance de l'admiration de la pofterité, & leurs ouvrages ne craignent que les ruïnes du monde. Cela est prefque devenu le ftile de l'ode: les bons & les mauvais auteurs l'employent également, & moi-même à proportion je fuis tombé là-deffus dans les plus grands excès. Mais je reconnois de bonne foi ma faute, & je tâcherai à l'avenir de faire mieux, & de m'en piquer moins.

A en juger de fens froid, je ne fçaurois croire que l'orgueil foit une bienféance de la poëfie. S'il met quelque feu dans un ouvrage, & s'il fait regarder à de certaines gens les poëtes comme des hommes infpirez, il les avilit à des yeux plus philofophes, qui les re

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