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les événements dont ils font la caufe: Il n'y a rien enfin dans l'Univers qui ne puiffe nous fervir de préfage; tous les Eftres ont une liaifon néceffaire entr'eux, & l'évenement qui nous regarde le moins, entraîne avec lui tous ceux qui ne regardent que nous; tous le fecret eft d'en connoître la dépendance. C'eft ainfi du moins que raifonnoient la plûpart des payens; & la fuperftition, fous une autre face, s'eft encore fait de nouveaux efclaves, au milieu même du chriftianifme.

Voilà donc les plaintes & les reffources de la curiofité humaine. Injuftes plaintes! Nous reprochons à la nature ce qui devroit lui attirer notre reconnois fance, Vaines reffources! Nous prenons notre crédulité pour des lumieres.

Sçache cependant, homme insenfé, que ton plus grand bonheur eft ton ignorance, & que le fouverain Eftre n'a pû compenfer mieux les malheurs de ta condition » que par l'incertitude qu'il

t'en laiffe.

Que les premiers Poëtes, difons les premiers Philofophes, ont bien connu B iij

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l'état de l'homme! Ils ont fait fortir tous les maux de la boëte de Pandore; l'Univers en fut inondé : mais l'efperance en fortit avec eux pour en être le remede, & comme fi nous avions encore trop de ce bien, il ne tient pas à nous. que la connoiffance de l'avenir ne nous l'enleve.

On peut fe faire deux idées de la connoiffance de l'avenir; par l'une, entendre la prévoyance de certains évenements foûmis à la prudence humaine, & qui peuvent être ou ne pas être, felon qu'elle les favorife ou qu'elle s'y oppose; par l'autre, la connoiffance des évenements immuables, & enchaînez necef fairement entr'eux par un decret éternel. Selon la premiere idée on pourroit croire que la connoiffance de l'avenir feroit un bien; mais ce n'eft pas de celle-là qu'il s'agit ici. Nous ne parlons qu'à ceux qui voudroient feulement connoître l'ordre établi, fans prétendre qu'il dépendît d'eux de le changer.

Selon cette idée, que voulez-vous donc fçavoir, hommes impatiens? La

place que vous devez occuper dans le monde? Si vous y ferez puiffans ou fans appui, riches ou dans l'indigence, Illustres ou dans le mépris? en quelque état que vous y deviez être, il vous eft avantageux de l'ignorer. Ces biens imaginaires où vous afpirez ne feront jamais fi doux dans la recherche,& ces maux que que vous craignez feroient auffi durs à prévoir qu'à fouffrir.

Demandez aux hommes que la fortune a le plus favorifez, quel temps de leur vie leur a paru le plus agreable? Celui de la recherche & des foins.

Plus heureux par leurs deffeins que par leurs fuccès, l'efpérance les flattoit, la joüiffance les a dégoûtez. Notre imagination s'accomode à nos défirs; elle nous représente les objets que nous poursuivons, avec toute la folidité qui leur manque; à peine les poffedons-nous; leur vanité fe fait fentir,& nous fommes tout furpris d'être détrompez.

Mais fuppofons un moment qu'il foit ici-bas des biens réels, & dont la joüiffance ne démente point les idées que notre imagination s'en forme; on pense

qu'alors ce feroit un avantage à l'homme de les prévoir. En vain le premier mouvement le décide ainfi ; la reflexion détruit bien-tôt ce jugement précipité. Tout l'espace de temps qui nous fepare→ roit d'un bien qui nous feroit destiné, nous deviendroit infuportable;jugeonsen par l'impatience où nous nous furprenons à tous les momens: Si notre foible prudence nous découvre dans l'avenir quelque plaifir,quelque honneur important qui nous attende, malgré tout l'attachement que nous avons à la vie quelque preuve que nous ayons de fa brieveté, nous retrancherions avec joye du nombre de nos jours cet intervalle incommode qui retarde notre bonheur. Prenons-y garde, cet état tout violent qu'il eft, eft notre état ordinaire: toûjours mécontens du préfent, nous imaginons loin de nous quelques circonftances agréables, où nous voudrions être transportez, aux dépens des années qui nous en féparent: D'impatience en impatience, fi le Ciel nous exauçoit, nous reduirions notre vie à bien peu de jours.

Que feroit-ce au contraire, fi une lu

miere imprêvûë nous dévoiloit tout-àcoup les malheurs qui nous font refervez? Quel terrible fpectacle pour la plûpart des hommes! Nos plus cheres efpérances confondues, les contradictions opiniâtres de nos concurrents, les revers humiliants de la fortune, des injures à fouffrir, des mépris amers à dévorer, les infidelitez, les trahifons de nos amis, les maladies enfin & les douleurs aiguës femées de toutes parts dans une courte vie; quelle ame affez ftoïque pourroit envifager un fort femblable fans défespoir ? à peine toute notre fermeté fuffit-elle à foûtenir fucceffivement chacun de ces maux, quoique par une illufion naturelle nous le regardions toûjours comme le dernier que deviendrions-nous, fi la prévoyance les raffemblant en un point, nous les faifoit fentir tous à la fois, fans nous laiffer entrevoir aucun moyen de les évi

ter ?

Quelle paix pourroit fubfifter encore au milieu de ces images? Les grands s'applaudiroient-ils un moment d'une grandeur dont ils verroient la ruine si

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