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autres, diverses espèces de perruches, et les pigeons bleus appelés ici, pigeons hollandois. Les singes, habitans domiciliés de ces forêts, se jouent dans leurs sombres rameaux, dont ils se détachent par leur poil gris et verdâtre et leur face toute noire; quelques-uns s'y suspendent par la queue et se balancent en l'air d'autres sautent de branche en branche, portant leurs petits dans leurs bras. Jamais le fusil meurtrier n'y a effrayé ces paisibles enfans de la nature. On n'y entend que des cris de joie, des gazouillemens et des ramages inconnus de quelques oiseaux des terres australes, que repètent au loin les échos de ces forêts. La rivière qui coule en bouillonnant sur un lit de roche, à travers les arbres réfléchit çà et là dans ses eaux limpides, leurs masses vénérables de verdure et d'ombre, ainsi que les jeux de leurs heureux habitans à mille pas de là elle se précipite de différens étages de rocher, et forme à sa chute une nappe d'eau unie, comme le cristal, qui se brise en tombant en bouillons d'écume.

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Mille bruits confus sortent de ces eaux tumultueuses; et, dispersés par les vents dans la forêt, tantôt ils fuient au loin, tantôt ils se rapprochent tous à la fois, et assourdissent comme les sons des cloches d'une cathédrale. L'air, sans cesse renouvelé par le mouvement des eaux, entretient sur les bords de cette rivière, malgré les ardeurs de l'été, une verdure et une fraîcheur qu'on trouve rarement dans cette île, sur le haut même des montagnes.

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A quelque distance de là, est un rocher assez éloigné de la cascade pour qu'on n'y soit pas étourdi du bruit de ses eaux, et qui en est assez voisin pour y jouir de leur vue, de leur fraîcheur et de leur murmure. Nous allions quelquefois, dans les grandes chaleurs dîner à l'ombre de ce rocher, madame de la Tour, Marguerite, Virginie, Paul et moi. Comme Virginie dirigeoit toujours au bien d'autrui ses actions même les plus communes, elle ne mangeoit pas un fruit à la campagne qu'elle n'en mît en terre les noyaux ou les pepins.

<< Il en viendra, disoit-elle, des arbres «< qui donneront leurs fruits à quelque « voyageur, ou au moins à un oiseau ». Un jour donc qu'elle avoit mangé une papaye au pied de ce rocher, elle y planta les semences de ce fruit. Bientôt après, il y crut plusieurs papayers, parmi lesquels il y en avoit un femelle, c'està-dire, qui porte des fruits. Cet arbre n'étoit pas si haut que le genou de Virginie à son départ; mais comme il croit vîte, trois ans après il avoit vingt pieds de hauteur et son tronc étoit entouré, dans sa partie supérieure, de plusieurs rangs de fruits mûrs. Paul s'étant rendu par hasard dans ce lieu, fut rempli de joie en voyant ce grand arbre sorti d'une petite graine qu'il avoit vu planter par son amie ; et en même temps, il fut saisi d'une tristesse profonde par ce témoignage de sa longue absence. Les objets que nous voyons habituellement ne nous font pas apercevoir de la rapidité de notre vie : ils vieillissent avec nous d'une décadence insensible ; mais ce sont ceux que nous revoyons tout

à-coup

coup après les avoir perdus quelques années de vue, qui nous avertissent de la vitesse avec laquelle s'écoule le fleuve de nos jours. Paul fut aussi surpris et aussi troublé à la vue de ce grand papayer chargé de fruits, qu'un voyageur l'est, après une longue absence de son pays, de n'y plus retrouver ses contemporains, et d'y voir leurs enfans, qu'il avoit laissés à la mamelle, devenus eux-mêmes pères de famille. Tantôt il vouloit l'abattre, parce qu'il lui rendoit trop sensible la longueur du temps qui s'étoit écoulé depuis le départ de Virginie; tantôt, le considérant comme un monument de sa bienfaisance, il baisoit son tronc et lui adressoit des paroles pleines d'amour et de regrets. O arbre dont la postérité existe encore dans nos bois, je vous ai vu moi-même avec plus d'intérêt et de vénération que les arcs de triomphe des Romains! Puisse la nature, qui détruit chaque jour les monumens de l'ambition des rois, multiplier dans nos forêts ceux de la bienfaisance d'une jeune et pauvre fille!

Tome IV.

G

C'étoit donc au pied de ce papayer que j'étois sûr de rencontrer Paul quand il venoit dans mon quartier. Un jour je l'y trouvai accablé de mélancolie ; et j'eus avec lui une conversation que je 'vais vous rapporter, si je ne vous suis point trop ennuyeux par mes longues digressions, pardonnables à mon âge et à mes dernières amitiés. Je vous la raconterai en forme de dialogue, afin que vous jugiez du bon sens naturel de ce jeune homme ; et il vous sera aisé de faire la différence des interlocuteurs

le sens de ses questions et de mes

par réponses.

Il me dit :

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Je suis bien chagrin. Mademoiselle << de la Tour est partie depuis trois ans « et demi ; et depuis un an et demi, élle ne nous a pas donné de ses nou« velles. Elle est riche ; je suis pauvre : elle m'a oublié. J'ai envie de m'em<«< barquer; j'irai en France; j'y servirai « le roi; j'y ferai fortune, et la grande «tante de mademoiselle de la Tour me <<< donnera sa petite nièce en mariage

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