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plus beau jour. Déja ils partageoient avec leurs mères tous les soins du mé

nage. Dès que le chant du coq annonçoit le retour de l'aurore, Virginie se levoit, alloit puiser de l'eau à la source voisine, et rentroit dans la maison pour préparer le déjeûner: bientôt après, quand le soleil doroit les pitons de cette enceinte, Marguerite et son fils se rendoient chez madame de la Tour: alors ils commençoient tous ensemble une prière suivie du premier repas; souvent ils le prenoient devant la porte assis sur l'herbe sous un berceau de bananiers, qui leur fournissoient à la fois, des mets tout préparés dans leurs fruits substantiels et du linge de table dans leurs feuilles longues et lustrées. Une nourriture saine et abondante développoit rapidement les corps de ces deux jeunes gens, et une éducation douce peignoit dans leur physionomie la pureté et le contentement de leur ame. Virginie n'avoit que douze ans : déja sa taille étoit plus qu'à demi-formée; de grands cheveux blonds ombrageoient sa tête; ses yeux bleus et ses

lèvres de corail brilloient du plus tendre éclat sur la fraîcheur de son visage. Ils sourioient toujours de concert quand elle parloit; mais quand elle gardoit le silence, leur obliquité naturelle vers le ciel leur donnoit une expression d'une sensibilité extrême et même celle d'une légère mélancolie. Pour Paul on voyoit déja se développer en lui le caractère d'un homme au milieu des graces de l'adolescence. Sa taille étoit, plus élevée. que celle de Virginie, son teint plus rembruni, son nez plus aquilin, et ses yeux qui étoient noirs auroient eu un peu de fierté, si les longs cils qui rayonnoient autour comme des pinceaux, ne leur avoient donné la plus grande douceur. Quoiqu'il fût toujours en mouvement, dès que sa sœur paroissoit, il devenoit tranquille et alloit s'asseoir auprès d'elle; souvent leur repas se passoit sans qu'ils se dissent un mot. A leur silence, à la naïveté de leurs attitudes, à la beauté de leurs pieds nus, on eût cru, voir un groupe antique de marbre blanc, représentant quelques-uns des

enfans de Niobé. Mais à leurs regards qui cherchoient à se rencontrer, à leur sourires rendus par de plus doux sourires, on les eût pris pour ces enfans du ciel, pour ces esprits bienheureux, dont la nature est de s'aimer, et qui n'ont pas besoin de rendre le sentiment par des pensées, et l'amitié par des paroles. Cependant, madame de la Tour voyant sa fille se développer avec tant de charmes, sentoit augmenter son inquiétude avec sa tendresse. Elle me disoit quelquefois : « Si je venois à mourir, << que deviendroit Virginie sans for<< tune?

વર

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Elle avoit en France une tante, fille de qualité, riche, vieille et dévote, qui lui avoit refusé si durement des secours, lorsqu'elle se fut mariée à M. de la Tour, qu'elle s'étoit bien promis de n'avoir jamais recours à elle, à quelque extrémité qu'elle fût réduite. Mais devenue mère, elle ne craignit plus la honte des refus. Elle manda à sa tante la mort inattendue de son mari, la naissance de sa fille, et l'embarras où elle se trouvoit, loin de

son

son pays, dénuée de support, et chargée d'un enfant. Elle n'en reçut point de réponse. Elle, qui étoit d'un caractère élevé, ne craignit plus de s'humilier, et de s'exposer aux reproches de sa parente, qui ne lui avoit jamais pardonné d'avoir épousé un homme sans naissance, quoique vertueux. Elle lui écrivoit donc par toutes les occasions, afin d'exciter sa sensibilité en faveur de Virginie. Mais bien des années s'étoient écoulées, sans recevoir d'elle aucune marque de sou

venir.

de

Enfin en 1746, à l'arrivée de M. de la Bourdonaye, madame de la Tour apprit que ce nouveau gouverneur avoit à lui remettre une lettre de la part sa tante. Elle courut au Port-Louis, sans se soucier, cette fois, d'y paroître mal-vêtue, la joie maternelle la mettant au dessus du respect humain. M. de la Bourdonaye lui donna en effet une lettre de sa tante. Celle-ci mandoit à sa nièce, qu'elle avoit mérité son sort, pour avoir épousé un aventurier, un libertin; que les passions portoient avec Tome IV.

B

elles leur punition; que la mort prématurée de son mari étoit un juste châtiment de Dieu; qu'elle avoit bien fait de passer aux îles, plutôt que de déshonorer sa famille en France; qu'elle étoit, après tout, dans un bon pays, où tout le monde faisoit fortune, excepté les paresseux. Après l'avoir ainsi blâmée, elle finissoit par se louer elle-même. Pour éviter, disoit-elle, les suites presque toujours funestes du mariage, elle avoit toujours refusé de se marier. La vérité est, qu'étant ambitieuse, elle n'avoit voulu épouser qu'un homme de grande qualité; mais, quoiqu'elle fût très-riche, et qu'à la cour on soit indifférent à tout, excepté à la fortune, il ne s'étoit trouvé personne qui eût voulu s'allier à une fille aussi laide et à un cœur aussi dur.

Elle ajoutoit par post-scriptum, que toute considération faite, elle l'avoit fortement recommandée à M. de la Bourdonaye. Elle l'avoit en effet recom mandée, mais suivant un usage bien commun aujourd'hui, qui rend un pro

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