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tecteur plus à craindre qu'un ennemi déclaré afin de justifier auprès du gouverneur, sa dureté pour sa nièce, en feignant de la plaindre, elle l'avoit calomniée.

Madame de la Tour, que tout homme indifférent n'eût pu voir sans intérêt et sans respect, fut reçue avec beaucoup de froideur par M. de la Bourdonaye, prévenu contre elle. Il ne répondit à l'exposé qu'elle lui fit de sa situation et de celle de sa fille, que par de durs monosyllabes. « Je verrai;... nous avec le temps . . . . << il y a bien des malheureux..... Pourquoi indisposer une tante respecta«ble?.... C'est vous qui avez tort. »

<< verrons;

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Madame de la Tour retourna à l'habitation, le cœur navré de douleur et plein d'amertume. En arrivant, elle s'assit, jeta sur la table la lettre de sa tante, et dit à son amie : « Voilà le <«<fruit d'onze ans de patience. » Mais comme il n'y avoit que madame de la Tour qui sût lire dans la société, elle reprit la lettre, et en fit la lecture devant

toute la famille rassemblée. A peine étoit-elle achevée, que Marguerite lui dit avec vivacité : « Qu'avons-nous be«< soin de tes parens? Dieu nous a-t-il << abandonnés ? C'est lui seul qui est «<notre père. N'avons-nous pas vécu <«< heureuses jusqu'à ce jour ? Pourquoi << donc te chagriner? Tu n'as point de « courage. » Et voyant madame de la Tour pleurer, elle se jeta à son cou, et la serrant dans ses bras: « Chère amie, « s'écria-t-elle, chère amie! » Mais ses propres sanglots étouffèrent sa voix. A ce spectacle, Virginie fondant en larmes, pressoit alternativement les mains de sa mère et celles de Marguerite contre sa bouche et contre son cœur ; et Paul, les yeux enflammés de colère, crioit, serroit les poings, frappoit du pied, ne sachant à qui s'en prendre. A ce bruit, Domingue et Marie accoururent, l'on n'entendit plus dans la case que ces cris de douleur: « Ah, Madame!... << ma bonne maîtresse !... ma mère!...

et

«< ne pleurez pas. » De si tendres marques d'amitié dissipèrent le chagrin de madame

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de la Tour. Elle prit Paul et Virginie dans ses bras, et leur dit d'un air content: « Mes enfans, vous êtes cause de << ma peine, mais vous faites toute ma joie. Oh ! mes chers enfans, le malheur « ne m'est venu que de loin; le bon<<< heur est autour de moi. » Paul et Virginie ne la comprirent pas, mais quand ils la virent tranquille, ils sourirent, et se mirent à la caresser. Ainsi, ils continuèrent tous à être heureux, et ce ne fut qu'un orage au milieu d'une belle saison.

Le bon naturel de ces enfans se développoit de jour en jour. Un dimanche, au lever de l'aurore, leurs mères étant allées à la première messe à l'église des Pamplemousses, une négresse maronne se présenta sous les bananiers qui entouroient leur habitation.. Elle étoit décharnée comme un squelette, et n'avoit pour vêtement qu'un lambeau de serpillière autour des reins. Elle se jeta aux pieds de Virginie qui préparoit le déjeûné de la famille, et lui dit : « Ma jeune « demoiselle, ayez pitié d'une pauvre

« esclave fugitive; il y a un mois que j'erre « dans ces montagnes, demi - morte de <«< faim, souvent poursuivie par des chas<«<seurs et par leurs chiens. Je fuis mon «maître qui est un riche habitant de la << rivière Noire. Il m'a traitée comme vous <«<le voyez. » En même temps, elle lui montra son corps sillonné de cicatrices

profondes, par les de fouet qu'elle

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coups

en avoit reçus. Elle ajouta : « Je voulois << aller me noyer; mais sachant que vous demeuriez ici, j'ai dit : Puisqu'il y a << encore de bons blancs dans ce pays, il ne faut pas encore mourir. » Virginie, toute émue, lui répondit : « Rassurez« vous, infortunée créature! Mangez, « mangez ; » et elle lui donna lé déjeûné de la maison, qu'elle avoit apprêté. L'esclave, en peu de momens, le dévora tout entier. Virginie la voyant rassásiée, lui dit : « Pauvre misérable! j'ai envie « d'aller demander votre grace à votre << maître; en vous voyant, il sera touché

de pitié. Voulez-vous me conduire «< chez lui? »«< Ange de Dieu, repartit la négresse, je vous suivrai par-tout où

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« vous voudrez ». Virginie appela son frère, et le pria de l'accompagner. L'esclave maronne les conduisit par des sentiers, au milieu des bois, à travers de hautes montagnes, qu'ils grimpèrent avec bien de la peine, et de larges rivières qu'ils passèrent à gué. Enfin, vers le milieu du jour, ils arrivèrent au bas d'un morne, sur les bords de la rivière Noire. Ils apperçurent là une maison bien bâtie, des plantations considérables, et un grand nombre d'esclaves occupés à toutes sortes de travaux. Leur maître se promenoit au milieu d'eux, une pipe à la bouche et un rotin à la main. C'étoit un grand homme sec, olivâtre, aux yeux enfoncés et aux sourcils noirs et joints. Virginie, toute émue, tenant Paul par le bras, s'approcha de l'habitant, et le pria, pour l'amour de Dieu, de pardonner à son esclave, qui étoit à quelque pas de là derrière eux. D'abord l'habitant ne fit pas grand compte de ces deux enfans pauvrement vêtus; mais quand il eut remarqué la taille élégante de Virginie, sa belle tête

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