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Mercure de France du samedi 12 janvier 1788, n° °2, pages 84 et 85, partie politique.

tôt ou tard. Ces essais paroîtront des jeux d'enfans à nos savans, mais ils peuvent devenir de la plus grande importance pour les gens de mer. Ils peuvent servir à leur faire connoître la direction et la vitesse des courans, d'une manière bien plus certaine et beaucoup plus étendue que le loch que l'on jette à bord des vaisseaux, ou que les bateaux que l'on y met à la mer. Ce dernier moyen, quoique employé fréquemment par le célèbre Cook, ne peut jamais donner que la vitesse relative du bateau et du vaisseau et non la vitesse intrinsèque du courant. Enfin, ces essais, tout hasardeux qu'ils sont, peuvent servir aux navigateurs à donner de leurs nouvelles à leurs amis, à de grandes distances de la terre, comme on le voit dans l'expérience de la baie de Biscaye et à leur obtenir des secours pour eux-mêmes, s'ils venoient à faire naufrage sur quelque île déserte.

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Nous ne nous fions pas assez à la nature. On pour roit employer préférablement à des bouteilles, quelques-uns des trajectiles dont elle se sert dans différens climats, pour entretenir la chaîne de ses correspondances par tout le globe. Un des plus répandus sur les mers des tropiques, est le coco. Ce fruit va souvent aborder à cinq ou six cents lieues du rivage où il est né. La nature l'a fait pour traverser les mers. Il est d'une forme oblongue, triangulaire et carénée, ensorte qu'il vogue sur un de ses augles comme sur une quille, et passant à travers les détroits des rochers, il vient échouer sur les grèves, où il ne tarde pas à germer. Il est préservé du choc des abordages par une enveloppe appelée caire, qui a un pouce ou deux d'épaisseur dans la circonférence du fruit, et trois ou quatre à sa partie pointue, qu'on peut considérer comme sa proue, avec d'autant plus de raison, que, l'autre extrémité est aplatie comme une poupe. Ce caire est couvert, à l'extérieur, d'une membrane

<< Au mois de mai de cette année, des « pêcheurs d'Arromanches près Bayeux, << trouvèrent en pleine mer une petite

unie et coriace, sur laquelle on peut tracer des ca-* ractères; et il est formé, à l'intérieur, de filamens entrelacés et mêlés d'une poussière semblable à de la sciure de bois. Au moyen de cette enveloppe élastique, le coco peut être lancé par les flots au milieu des rochers, sans se briser. De plus, sa coque intérieure est d'une matière plus flexible que la pierre, et plus dure que le bois, impénétrable à l'eau où elle peut rester très-long-temps sans se pourrir, ainsi que son caire, dont les Indiens font, par cette raison, d'excellens cables pour les vaisseaux. La coque du coco est si dure, que son germe n'en pourroit jamais sortir, si la nature n'avoit ménagé à sa partie pointue, où le caire est renforcé, trois petits trous recouverts d'une simple pellicule.

Il y a encore bien d'autres végétaux volumineux, que les courans de la mer portent à des distances prodigieuses, tels que les sapins et les bouleaux du nord, les doubles cocos des îles Séchelles, les bamboux du Gange, les gros joncs du cap de Bonne-Espérance, etc. On peut écrire aisément sur leur tiges avec la pointe d'un coquillage, et les rendre remarquables sur la mer par quelque signal éclatant.

On peut trouver de semblables ressources parmi

les amphibies, telles que les tortues qui se trans

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portent fort loin au moyen des courans. J'ai lu quelque part dans l'histoire de la Chine, qu'un de ses anciens rois, accompagné d'une foule de peuple, vit un jour sortir de la mer une tortue, sur le dos de laquelle étoient écrites les lois qui font aujourd'hui la base du gouvernement chinois. Il est probable que ce législateur avoit profité du moment où cette tortue étoit venue à terre, suivant l'usage, reconnoître le lieu où elle devoit faire sa ponte, pour écrire sur son dos les lois qu'il vouloit établir, et qu'il sai

« bouteille bien bouchée : impatiens de << voir ce qu'elle contenoit, ils la cassèrent; <<< c'étoit une lettre dont ils ne purent lire » l'adresse, conçue en langue angloise. «Ils la portèrent au juge de l'amirauté,

qui la fit déposer à son greffe. La sus<<cription annonçant qu'elle appartenoit << à une dame angloise, il s'assura de « son existence, et prit les mesures que « la prudence dictoit pour lui faire par« venir surement sa lettre. Le mari de « cette dame (homme de lettres connu << dans sa patrie par plusieurs ouvrages « justement estimés) vient d'écrire ; <«<et en marquant au juge sa reconnois"sance avec les expressions les plus fortes,

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il lui apprend que la lettre dont il s'agit

sit pareillement le jour d'après cette reconnoissance, où cet animal ne manque pas de retourner au même lieu pondre ses œufs, pour pénétrer un peuple simple de respect pour des lois qui sortoient du sein de la mer, et à là vue des tablettes merveilleuses sur lesquelles elles étoient écrites.

Les oiseaux de marine peuvent fournir encore des voies plus promptes de communication, d'autant que leur vol est très-rapide, et qu'ils sont si familiers sur les rivages déserts, qu'on les prend à la main, comme je l'ai éprouvé à l'île de l'Ascension. On peut leur attacher, avec un billet, quelque signe remarquable, et choisir de préférence ceux qui arrivent dans diverses saisons et qui parcourent différens rivages, et même les oiseaux de terre de passage, comme les ramiers.

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«

<«<est du frère de son épouse, allant aux grandes Indes. Il avoit voulu donner << de ses nouvelles à sa sœur. Un vaisseau qu'il avoit vu dans la baie de Biscaye, << et qui paroissoit aller en Angleterre, lui en avoit donné l'idée. Il comptoit << pouvoir en approcher; mais le vaisseau << s'étant éloigné, il avoit imaginé de mettre la lettre dans une bouteille, et « de la jeter à la mer. »

«

Enfin, les journaux (1) viennent, avec la fortune, à l'appui de ma théorie.

Dans le désir de donner à un fait aussi important toute l'authenticité dont il est susceptible, j'ai écrit en Normandie à une dame de mes amies, qui cultive avec beaucoup de goût l'étude de la nature, au sein de sa famille, pour la prier de

(1) Pendant l'impression de cet avis, le journal de Paris a publié, à mon insçu, un extrait de ma lettre au journal général de France, en réponse à mon cri tique anonyme. Cette démarche montre de la part de ses rédacteurs, beaucoup plus d'impartialité à mon égard que je ne leur en supposois. Elle convient à des hommes de lettres qui influent sur l'opinion publique, et qui ne veulent pas encourir le reproche qu'ils font quelquefois eux-mêmes; avec tant de fondement, aux corps qui se sont opposés autrefois aux découvertes qui détruisoient leurs systêmes. Je saisis cette occasion de rendre justice à l'impartialité de MM. les rédacteurs du journal de Paris, ainsi que je l'ai toujours rendue à leurs talens.

demander au juge de l'amirauté d'Arromanches, quelques éclaircissemens dont j'avois besoin, en Angleterre. J'ai différé même en attendant sa réponse, l'impres sion de cette dernière feuille pendant près de sixsemaines. La voici telle que. le juge de l'amirauté d'Arromanches a eu la complaisance de la lui envoyer et qu'elle a eu la bonté de me la faire parvenir, ce 24 février 1788.

« La bouteille fut trouvée à deux lieues << en mer, au droit de la paroisse d'Ar<< romanches, distante elle-même de << deux lieues nord-est de la ville de Bayeux, le 9 mai 1787, et déposée au greffe de l'amirauté le 10 du même

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<< mois.

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«M. Elphinston, mari de la dame å « laquelle la lettre étoit adressée, marque qu'on n'est pas bien sûr si c'est l'auteur « de la lettre qui l'a embouteillée dans « la baie de Biscaye, le 17 août 1786, << latitude 45°, 10 minutes nord, lon«gitude 10o 56 minutes ouest, comme << elle est datée ; ou si quelqu'un du vais<< seau passant, l'a confiée aux ondes.

<< Quant au vaisseau, il l'appelle Naquet. Celui qui alloit au Bengale se « nommoit l'Intelligence, sous les ordres << du capitaine Linston.

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