On voit par ce qui précede, que la peau de la vipere est toute couverte d'écailles. Les grandes plaques ou lames qui garniffent le ventre ont une couleur d'acier dans toute l'étendue de leur furface, en quoi elles different de celles de la couleuvre, qui font ordinairement mouchetées de jaune. Les petites écailles qui couvrent la partie fupérieure de l'animal, font arrondies par leurs extrémités, recouvertes en partie les unes par les autres & difpofées dans un ordre très-régulier : elles forment des rangs qui fe croifent & fe préfentent toujours obliquement, de quelque côté qu'on fe place pour les regarder; elles diminuent de grandeur à proportion de celles des parties qu'elles garniffent, & elles font ftriées par plufieurs lignes droites, déliées & diftin&tes, qui s'étendent depuis le derriere de la tête jufqu'à l'extrémité de la queue.

Le fond de la couleur eft différent dans les divers individus. Il y a des viperes de couleur blanchâtre rougeâtre, grife, jaune & tannée. Ce fond eft toujours parfemé de taches noires, ou du moins beaucoup plus obfcures que le refte; ces taches paroiffent comme des chiffres ou des caracteres de différentes figures, diftribués avec une forte de fymétrie principalement fur la furface fupérieure & fur les côtés du corps.

On remarque plufieurs ouvertures à la peau de la vipere: la plus grande eft celle de la gueule; les autres font celles des deux narines & celle qui eft au bas du ventre, joignant le commencement de la queue, à laquelle ouverture aboutiffent l'anus & les parties de la génération, tant des mâles que des femelles : cette ouverture eft bouchée par la derniere des grandes écailles ou plaques, qui eft avancée en forme de demi-rond & qui s'ouvre en s'abaiffant, foit au temps du coït, foit lorfque les vipéreaux naiffent ou que les viperes fe débarraffent de leurs excrémens.

Les viperes changent de peau tous les ans au printemps & même quelquefois en automne. Sous la peau écailleufe qu'elles quittent, il s'en trouve une autre qui eft toute formée en deffous, & qui paroît d'abord bien plus belle & d'une couleur beaucoup plus éclatante que celle qu'elles ont quittée : bientôt il fe forme infenfiblement une nouvelle peau destinée à remplacer celle qui recouvre actuellement la vipere, en forte que cet animal a en tout temps une double peau ; & toutes ces peaux, quoique garnies d'écailles, font néanmoins tranfparentes lorsqu'on les préfente à

la lumiere.

Le museau de la vipere eft compofé d'un os en partie cartilagineux, & recouvert de fa peau écailleufe; fur le devant du mufeau, on voit de chaque côté les conduits qui forment les narines, lefquelles ont chacune une petite ouverture ronde & leur nerf propre qui fert à l'organe de l'odorat: les mêmes conduits fervent auffi à recevoir deux petits nerfs qui fortent chacun de la partie latérale du crâne pour porter, dit-on, aux narines la faculté de l'ouïe. (Il n'y a aucune autre ouverture extérieure qui puiffe transmettre le fon à l'organe de l'ouïe. ) Tout le crâne est d'une fubftance fort compacte & fort dure. La fubftance du cerveau eft divifée en cinq corps principaux; on y obferve le cervelet; la moëlle épiniere femble former un même corps avec ce dernier; elle eft de la groffeur d'un petit grain de froment & paffant à travers de toutes les vertebres de l'épine du dos, elle vient aboutir à l'extrémité de la queue.

Les yeux de la vipere font très-vifs, & fon regard eft fixe & menaçant: la langue eft compofée de deux corps ronds & charnus, qui adherent l'un à l'autre jufque vers les deux tiers de leur longueur & qui fe terminent en pointes très-flexibles & très-aiguës. Il y a des viperes dont la langue a trois & même quatre pointes la langue eft enfermée d'un bout à

l'autre dans une espece de gaîne. La vipere irritée la darde & la retire par des mouvemens fucceffifs & très-rapides; alors elle paroît comme un brandon de feu ou un phofphore. Mais cette langue ne pique point & n'a rien de venimeux : elle fert à la vipere, ainfi qu'à la couleuvre, principalement pour attraper les petits animaux qu'elles veulent dévorer.

Les mâchoires de la vipere font armées de trois fortes de dents, favoir, les groffes ou canines les moyennes & les petites; c'eft dans les canines que le venin réfide & ces dents, qui font fes armes fatales, font attachées à l'os de la mâchoire fupérieure; elles ont environ deux lignes & demie de longueur fur une demi-ligne de largeur à leur base; elles font très-dures & très-aiguës, ce qui fait qu'elles pénetrent facilement dans la peau; de plus, elles font crochues, blanches , prefque diaphanes & courbées comme les dents canines de la plupart des animaux carnaffiers; elles font vifiblement hftuleuses ou creufes jufque près de leur pointe, ainsi qu'il eft aifé de s'en appercevoir en caffant ces dents par leur milieu; cette cavité fe termine à la partie convexe de la dent par une petite fente vifible, exactement femblable à celle d'une plume à écrire, & qui donne paffage au venin. M. L'Abbé Fontana a obfervé une double tubulure dans chacune de ces dents canines, & ces deux tubes qui font féparés par une cloifon, n'ont aucune communication l'un avec l'autre chacune de ces dents meurtrieres eft environnée à peu près jusqu'aux deux tiers de sa hauteur d'une tunique ou véhicule affez épaiffe remplie d'un fuc jaunâtre, tranfparent & médiocrement liquide. Galien décrit affez bien la ftructure de ces dents, lorfqu'il dit que les Charlatans fe laiffent mordre par les viperes après avoir eu foin de boucher auparavant avec de la pâte ou de la cire les ouvertures de leurs dents qui donnent paffage au venin,

venin, afin de faire croire par-là aux fpectateurs qu'ils fe garantiffent de fes mauvais effets par le moyen de leur antidote.

On verra dans la fuite de fet article, que les Anciens employoient d'autres moyens pour que la morfure de la vipere fût fans conféquence. Nous pouvons inême déjà dire qu'il y a des perfonnes qui après avoir appuyé l'extrémité d'un bâton fur la tête de la vipere, ont la hardieffe de la ferrer fortement au cou avec la main; l'animal fait des efforts inutiles pour fe défendre & tandis qu'il tient sa gueule béante, on lui coupe adroitement fes dents venimeufes avec des cifeaux, ou bien on les fait tomber, à l'aide d'une lame de canif que l'on paffe derriere, ce qui eft d'autant plus facile, que ces dents font crochues & recourbées en dedans vers le gofier. On met ainfi la vipere hors d'état de nuire, & on peut la manier enfuite impunément. Il y a des perfonnes plus hardies encore elles faififfent brusquement les viperes au cou avec la main nue, ou les enlevent en les prenant par la queue: ainfi prises, il n'y a plus de danger, , pourvu que l'on tienne le bras tendu horizontalement, parce que malgré tous les mouvemens que ces animaux fe donnent, il leur eft impoffible de fe dreffer affez pour fe jeter fur la main qui les tient fufpendues.

La Nature femble n'avoir donné une figure crochue à ces dents empoifonnées, qu'afin que leur pointe, lorfque la vipere veut mordre, fe trouve perpendiculaire à la partie; car alors cet animal étant obligé de lever la tête, fi la dent qui eft attachée à la mâchoire étoit droite, elle ne pourroit, à caufe de fa difpofition oblique, pénétrer avec affez de force, ni affez avant dans la chair.

Le Docteur Mead (Traité des Venins), & M. l'Abbé Fontana (Traité fur le venin de la Vipere), difent qu'outre ces dents venimeufes qui font pour Tome XV.

E

l'ordinaire renfermées dans une même gaîne mem braneufe au nombre d'une, quelquefois deux, rarement trois, attachées de chaque côté au premier os de la mâchoire fupérieure, il a découvert quelques autres dents plus petites qui paroiffent infixées au même os; ce font les moyennes : c'eft dans la véficule & fous la principale dent, c'est-à-dire à fa bafe, que fe trouvent ces moyennes dents, qui font inégales, crochues & implantées dans de petits creux que la groffe dent a près de fa racine : leurs pointes font extrêmement dures, & fendues de même que celles des dents canines; mais leurs racines font molles & mucilagineufes comme les racines des dents des enfans, & elles font toujours couchées le long de la mâchoire : elles fe détachent de l'os pour peu qu'on les touche, ce qui a fait croire à quelques Anatomiftes qu'elles tiennent aux mufcles ou aux tendons, puifque fans cela elles euffent été toutà-fait inutiles. Nicholls, d'après Rédi & M. Fontana, dit que ces dents moyennes paroiffent deftinées à remplacer celles des canines qui viennent à tomber ou naturellement ou par accident: auffi elles fe rapprochent vers la place édentée, fe durciffent & croiffent infenfiblement au point de devenir à la fin par leur pointe affez perpendiculaires à l'os. Une preuve qu'elles ne croiffent pas toutes en même Temps, c'eft qu'il y en a qui n'ont aucune dureté; d'autres commencent à fe durcir à la pointe, & ainfi de fuite jufqu'à ce qu'elles aient acquis toute leur groffeur. Leur nombre n'eft point fixe car il s'en trouve depuis deux jufqu'à fix ou fept, & quelquefois huit à chaque côté de la mâchoire, qui vont en diminuant de groffeur & de dureté, à mefure qu'elles s'éloignent des dents canines; & c'eft, fans doute ce qui a partagé les opinions des Anciens, touchant le nombre des dents de la vipere.