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s'amufe plus à donner ni des combats ni des batailles.] J'ai ouï dire que M. de T. regarde cet endroit comme un des plus beaux de fa traduction. C'est un de ceux où l'on trouve un plus grand nombre d'infidélités. Il n'y a dans le Grec que deux lignes, qui difent à la lettre ; Rien ne s'achetoit alors. La guerre fe faifoit de bonne-foi, & à force ouverte. Mais aujourd'hui les traîtres ont tout perdu. ετε ἐδὲ χρημάτων ὠνεῖσαι παρ ἐδενὸς ἐδὲν. ἀλλ ̓ εἶναι νόμιμόν τινα καὶ προφανῆ τὸν πόλεμον. νυνὶ δὲ ἐρᾶτε τὰ πλεῖσα τες προδότας απολωλεκότας. Qu'on fe donne la peine d'examiner ce qui eft uniquement de M. de T. & l'on verra combien il fort des bornes de la traduction. Mais ne le corrigera-t-on point de la paffion qu'il a pour les tours extraordinaires & finguliers? Il fe fait bon gré de la découverte qu'il a faite de ces belles phrafes Compter l'or & l'argent entre les armes défendues.... Depuis qu'on a trouvé l'invention des traîtres. Cependant fi l'on en juge par les regles que les plus excellents Critiques nous ont données, rien n'eft moins beau que ce qui pafoît fi beau à M. de T. Horace nous affure qu'en fait d'ouvrages d'efprit les vraies beautés font celles qui femblent se préfenter d'elles-mêmes, de forte que le Lecteur s'imagine qu'il lui auroit été facile d'en dire autant Ut fibi quivis fperet idem. M. Defpréaux, celui peut-être de tous nos Ecrivains qui a le plus approché d'Horace, pense fur cela comme le Poëte Latin: & dit qu'une belle penfée n'eft point une penfée que perfonne n'a jamais eue, ni dû avoir : qu'au contraire,

c'est une penfée qui a dû venir à tout le monde, & que quelqu'un s'avife le premier d'exprimer. Quintilien, Longin, tous nos maîtres parlent le même langage. Le feul M. de T. en juge autrement. Il n'eft occupé qu'à chercher des penfées & des expreffions qui ne foient jamais venues & qui ne puiffent jamais venir à perfonne. Il peut fe vanter qu'il y réuffit.

P. 159. 1. 5. Vous goûtez un doux plaifir, vous éclarez de rire autant de fois que leurs fanglantes railleries & leurs calomnies atroces déchirent la réputation la plus entiere, & attaquent la vertu la plus refpectable. ] Le Grec dit feulement: Déchirent-ils la réputation de quelqu'un, vous ne faites qu'en rire. Et il dit cela en trois mots : γελᾶτε ἂν τισι λοιδορηθῶσιο De forte que felon M. de T. yeλare veut dire, vous goûtez un doux plaifir, vous éclatez de rire; a To dodogno, veut dire, autant de fois qu'ils déchirent par de fanglantes railleries & par des calomnies atroces: & ce qui eft plus furprenant encore, le feul mot τισι, quis bufdam, fignifie la réputation la plus entière, & la vertu la plus refpectable.

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P. 160. 1. 12. Il a pris encore la peine de les chaffer deux fois de leur pays. ] Le Grec ajoute & de leur envoyer deux détachements de fes troupes, l'un fous Euryloque, & l'autre Tous Parmenion. πέμψας τις μετ' Ευρυλόχε, πά. λιν δὲ τὰς μετὰ Παρμενίων. Οι ne devineroit jamais comment M. de T. tourne cela. En vérité il n'y a pas moyen d'y tenir : & fe donner de pareilles licences dans le temps qu'on fait profeffion de traduire, c'est se moquer ouvertement de fes Lecteurs &

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perdre tout refpe&t pour le public. Au lieu de dire, Et de leur envoyer deux détachements de fes troupes, M. de T. dit: Et de leur apprendre par deux détachements de fes troupes, Tun fous Euryloque, & l'autre fous Parménion, qu'on perd plus facilement la liberté qu'on ne la recouvre : & qu'après avoir fait la faute de Se fier à fon ennemi, il ne fuffit pas toujours de s'en repentir pour la réparer. Que veut dire M. de T. Où prend-il ces deux grandes maximes Les trouve-t-il renfermées dans le feul mot iμas, & de leur envoyer? A-t-il donc cru que perfonne ne liroit fa traduction, ou que perfonne ne la liroit fur le texte ? Certainement il devoit fe faire un scrupule de mêler fans ceffe fon cuivre & fon clinquant avec l'or de Démosthène.

P. 167. l. 6. Mais au cas que chacun de nous pour arriver à ce qu'il defire, demeure toujours les bras croifés, & n'ait autre foin que de voir.] Le Grec ajoute comment il pourra s'exempter d'agir, nos under Tonon. M. de T. fe joue fur les mots, & traduit : comment il fera pour ne rien faire. Badinage placé admirablement bien, puifque c'eft dans l'endroit de toute la haran gue le plus ferieux & le plus grave, je veux dire dans la péroraifon, où Démosthène redouble fes efforts, & tonne avec plus de violence.

P. 167. 1. 13. Car s'il y avoit de ces hommes officieux, & tels qu'il vous plaît de les imaginer en faveur de votre pareffe, vous les au riez déja bien trouvés depuis le temps que vous vous amufez à les attendre, & que par provifion vous vous difpenfez d'agir.] Le Grec dit

feulement Car s'il y avoit de ces hommes offi cieux, vous les auriez déja trouvés depuis le temps que vous ne faites rien pour vous-mêmes. εἰ γὰρ ἦσαν ἕυρηντ ̓ ἂν πάλαι, ἕνεκα το μηδὲν ὑμᾶς αυτές ποιεῖν ἐθέλειν. Il ne dit donc point : & tels qu'il vous plaît de les imaginer en faveur de votre parele: ni, depuis le temps que vous vous amufez à les attendre: ni, par provision. Ornements recherchés, & pleins de rafinement & d'affectation. Encore une fois ne pourra-t-on jamais réconcilier M. de T. avec les beautés fimples & les grâces naïves? Ne lui mettra-t-on jamais dans l'efprit qu'il diroit beaucoup mieux, s'il pouvoit se réfou dre à dire un peu moins bien ?

Toutes ces Remarques ne tombent que fur des éditions, qui ont été corrigées depuis ; & on ne les rapporte que pour fervir de leçon à de jeunes écrivains qui n'ont pas encore un goût formé. Bien-loin d'attaquer la gloire de M. de Tourreil, elles y ajoutent un nouvel éclat, puisqu'il eft plus eftimable d'avoir reconnu de bonne-foi fes fautes, & de les avoir corrigées avec docilité, qu'il ne le feroit de ne les avoir pas faites. C'eft ainfi qu'en parle fon propre Cenfeur M. l'Abbé Maffieu, dans l'excellente Préface que j'ai citée, pag. 16.

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Il eft certain que l'édition qui n'eft venue qu'après la mort de M. de Tourreil, eft incomparablement meilleure que les précédentes. Avouons cependant, car la vérité fe doit dire quand elle eft utile, avouons qu'il y refte encore je ne fais quoi de ce ftyle qui étoit le fien; où notre langue, fi j'ofois ainfi parler, n'eft pas toujours à fon aife. Suppofé que cela foit, nous en avons le contrepoifon dans cette Préface, à laquelle je reviens fi volontiers, & qui me paroît écrite avec une naïveté, avec une correction, avec une élégance, avec un air de facilité, dont il eft trifte que nos contemporains fe difpenfent de plus en plus.

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