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& qu'enfin, vous faifant vous-mêmes les tréforiers & les diftributeurs de vos fonds, vous obligiez le Chef de vos Troupes à vous rendre compte de fa conduite : vous cefferez dès lors, & de toujours délibérer, & de ne rien faire.

Par-là en même temps, vous retrancherez à Philippe le plus fort de ses revenus. Comment ? En le mettant hors d'état de continuer fes pirateries, qui appauvriffent vos alliés, & qui lui apportent de quoi foutenir la guerre qu'il vous fait.

Que gagnerez-vous encore? De n'être plus expofés à fes infultes: comme quand il furprit Lemnos & Imbros, d'où il emmena vos citoyens captifs : comme quand à Gérefte, ayant enveloppé vos vaiffeaux, il fit des prifes ineftimables : comme quand il defcendit à Marathon, & vous enleva la Galère (9) facrée.

Toutes ces infultes, vous n'avez pu

(9) Ils avoient deux Galères facrées, l'une defquelles paffoit pour être celle où Théfée s'étoit embarqué, lorfqu'il alla en Crète attaquer le Minotaure. On ne les faifoit voguer que pour de grandes caufes, & avec de grandes cérémonies. A la fuperftition près, ces deux galères étoient à Athènes ce qu'est aujourd'hui le Bucentaure à Venife.

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les empêcher, parce que le fecours, que vous auriez eu deffein d'envoyer, feroit arrivé trop tard.

Pourquoi vos (1) Panathénées & vos Bacchanales, dont la fomptuofité paffe tout ce qu'on voit ailleurs, & qui vous coûtent plus que jamais flotte ne vous coûta: pourquoi, ATHÉNIENS, ces deux fêtes ne manquent-elles point d'être célébrées au temps preferit, foit que des perfonnes intelligentes, foit que des ignorants s'en mêlent; & qu'au contraire tou tes vos flottes, témoin celle qui alloit à Méthone, celle qui alloit à Pagase, celle qui alloit à Potidée, n'arrivèrent jamais qu'après coup?

Parce qu'à l'égard de vos fêtes, les lois ont pourvu à tout; en forte que

(1) Panathénées, fêtes en l'honneur de Minerve, Déeffe tutélaire d'Athènes & de toute l'Attique.

fez

Bacchanales, fêtes, comme on le voit afpar leur nom, en l'honneur de Bacchus. Tant d'Auteurs nous ont décrit les unes & les autres, que ce feroit peine perdue de le faire encore ici. J'avertirai feulement que dans mon texte il y a un mot, λaywow, qui fait voir que ceux à qui étoit annuellement commife l'Ordonnance de ces deux Fêtes, troient au fort.

fe

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long-temps auparavant, chacun fait qui eft prépofé dans fa Tribu, & fur les Muficiens & fur les Athlètes : quand, par les mains de qui, & combien un Acteur doit toucher, & ce qu'il doit faire. Tout a été prévu, tout a été réglé avec foin.

Mais pour vos armements, point (2) de règle, point de loi, point d'ordre. Au premier bruit de quelque mouvement, on établit des (3) Armateurs, on

(2) Voici le Grec, äranla, dágioła, ádiópt θωτα ἅπαντα, oi il eft aité de remarquer ce fréquent concours de Voyelles ; & qui plus eft, de la même Voyelle, la plus fonore de toutes. Je ne pouvois faire que de vains ef forts pour l'imiter en notre langue. Mais pour fe mettre plus au fait, on peut confulter Victorius, Var. Lect. xv111, 12.

(3) Je rends ainfi papάpx8s, parce qu'en effet ces Triérarques étoient des particuliers. que la République, dans certains cas, obligeoit d'armer une galère à leurs dépens. On jetoit pour cela les yeux fur les citoyens eftimés les plus riches. Mais ce qu'il y avoit de fingulier, c'est que le citoyen nommé pour être du nombre des Triérarques, pouvoit offrir d'échanger fes biens contre ceux d'un autre citoyen, qu'il prétendoit être plus riche que lui, & plus en état, par conféquent, de foutenir les frais néceffaires. Auquel cas ce dernier étoit obligé, ou d'accepter l'échange, ou d'armer à fes dépens. Voilà ce qu'entend Dé

"

leur fouffre de propofer des échanges, on rêve aux moyens de trouver des fonds. Enfuite, on fait un Décret pour obliger les étrangers & les affranchis à s'embarquer; & s'ils ne fuffifent pas, on y fupplée par des citoyens. Pendant tous ces délais les places que vous alliez fecourir, font prifes. On a perdu en préparatifs, le temps où il falloit agir. Car l'occafion, & c'est elle qui décide, ne confulte point notre lenteur. Vous comptiez fur le fuccès de vos foldats; & les conjonctures qu'ils trouvent en arrivant, leur font fentir qu'ils ne peuvent

rien.

Auffi voit-on que Philippe, dans une lettre qu'il écrit aux Eubéens, vous traite avec le dernier mépris,

[Ici Démosthène fait lire cette lettre, qui n'eft point venue jufqu'à nous; & il continue enfuite fon difcours.]

mofthène par ces mots On leur fouffre de propofer des échanges, årridóveis. Il est vrai que dans l'intention de Solon, cette loi étoit fage; car elle mettoit les plus riches dans la néceffité de porter les charges publiques. Mais dans la pratique, elle tiroit à conféquence, parce que les difputes qui naiffoient au fujet de ces échanges, retardoient à contre-temps le fervice de l'Etat.

Vous ne vous êtes que trop attire une partie de ces outrages, dont il vous eft dur, ATHENIENS, d'entendre le récit. A la vérité, fi de fupprimer des chofes attriftantes, c'étoit faire qu'elles ne fuffent pas, nous ne devrions nous étudier qu'à plaire dans nos difcours. Mais fi c'eft réellement vous perdre, que de vous flatter à contre-temps, il vous eft honteux, ATHENIENS, d'aimer à être féduits; de reculer toute opération néceffaire, fous prétexte qu'elle ne vous eft pas agréable; & de ne vouloir pas comprendre qu'à la guerre il faut, non point fe laiffer commander aux événements, mais les prévenir. Que comme un Général marche à la tête de ses troupes, auffi de fages Politiques doivent-ils marcher, fi j'ose ainfi dire, à la tête des affaires; en forte qu'ils n'attendent pas l'événement, pour favoir quelles mesures ils ont à prendre ; mais que les me fures qu'ils ont prifes, amènent l'événe

ment.

Vous êtes, ATHÉNIENS, les plus forts de tous les Grecs en vaiffeaux, en cavalerie, en infanterie, en revenus, & vous ne favez vous prévaloir de rien à propos.

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