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Rien ne peut, ATHENIENS, mieux faire votre éloge. On voit par-là, que vous êtes jugés feuls incapables de trahir la caufe commune des Grecs, & d'échanger contre quelque avantage, contre quelque bienfait que ce fût, la gloire d'être leurs vengeurs.

Philippe, non-feulement fur ce qui fe paffe aujourd'hui, mais encore fur ce qui s'eft fait autrefois, a dû en effet fe former cette idée de vous ; & une idée toute contraire des Argiens, & des Thébains. Car il a lu, je n'en doute pas, il a entendu dire qu'Alexandre, un de fes (2) ancêtres, ayant été autrefois envoyé à nos peres, pour leur offrir l'empire de toute la Grèce, à condition qu'ils obéiroient au (3) Roi: eux, plutôt que d'écouter cette propofition, ils abandonnèrent leur ville, s'expofèrent courageufement à fouffrir les plus grands maux, & firent enfuite (4) ces prodiges, que

(2) Avant Alexandre le Grand, fils de Philippe, il y avoit eu deux autres Alexandres dont l'un fut le dixième, & l'autre le dixhuitième Roi de Macédoine.

(3) Voyez ci-deffus, pag. 61. Rem. 5. (4) Ici Démosthène indique le combat na

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Petav. Rat. Temp. part. II. lib. 2. C. 14p

tout le monde aime à raconter, mais que perfonne n'a pu raconter dignement. Auffi dois-je par cette raifon m'en taire. Car il y a véritablement quelque chofe de fi grand, que nulle expreffion n'y

fauroit atteindre.

Philippe au contraire, fait que dans cette même occafion, & les Thébains marcherent fous les enfeignes du Barbare, & les Argiens ne firent aucune réfistance.

Par-là il conçoit que les uns & les autres, contents de trouver leur utilité particulière, ne fongeront point aux intérêts communs des Grecs. Qu'en vous choififfant pour amis, il fe mettroit dans la néceffité de ne rien faire que de jufte. Mais qu'en s'attachant les autres, il aura des mercenaires prêts à feconder tous fes deffeins.

Tel eft donc le motif de la préférence qu'il leur a donnée, & leur donne encore fur vous. Elle ne vient, ni de ce

val de Salamine, donné la première année de l'Olympiade 75, & deux autres batailles auffi mémorables, l'une par terre à Platée, l'autre par mer auprès de Micale, données l'année fuivante, & toutes deux le même jour, qui fut le vingt-cinq de Septembre. On peut en voir le détail dans Hérodote, liv. 7, & 8.

qu'il nous fuppofe inférieurs en forces navales, car le contraire lui eft connu : ni de ce que, content de fe voir bien établi au milieu des terres, il dédaigne l'empire de la mer, & le commerce des ports ni enfin de ce que les proteftations, les promeffes, par où il nous a éblouis pour avoir la paix, font effacées de fa mémoire.

Mais ces promeffes, dira-t-on, il ne les oublie point : & s'il a époufé les intérêts des Thébains, il ne l'a fait certainement, ni par ambition, ni par aucun des motifs que je lui attribue ; il l'a fait parce qu'il a cru que la juftice devoit le faire pencher de leur côté.

Entre tous les prétextes imaginables, c'eft précisément le feul qu'on ne fauroit alléguer. Quoi lui qui ordonne aux Lacédémoniens d'abandonner Meffène ; il nous perfuadera que la juftice étoit fa règle, lorfqu'il mettoit les Thébains en poffeffion d'Orchomèné, & de Co

ronée ?

Mais, dira-t-on encore, il y fut contraint; & lorfqu'inopinément il fe vit entre la cavalerie Theffalienne, & l'infanterie Thébaine, il ne put que condefcendre à ce qu'on vouloit de lui.

Voilà en effet, tout ce qu'il reste à dire en fa faveur. Et pour le rendre croya ble, on répand que les Thébains deviennent fufpects à Philippe, & que même il va fortifier Elatée. Oui fans doute il s'y prépare, & il s'y préparera encore long temps, ou je me trompe fort. Mais un autre de fes deffeins, & dont il ne diffère pas l'exécution, car il s'en occupe actuellement, c'eft de joindre fes forces à celles d'Argos & de Meffène, pour fondre fur Lacédémone. Déja il envoie des troupes étrangères, il fournit de l'argent, & il eft attendu en perfonne avec une puiffante armée. Quelle apparence donc, que d'un côté il détruise Lacédémone, ennemie de Thèbes, & que d'autre côté il penfe à rétablir (5) la Phocide, qu'il avoit détruite en faveur des Thébains?

(5) Le fameux Temple de Delphes étoit dans la Phocide. Quelques habitants de cette contrée ayant labouré une portion des terres d'Apollon, les Amphictions les mirent à l'amende. Ce fut l'occafion d'une guerre qui partagea toute la Grèce, & qui dura neuf à dix ans. On l'appela la Guerre facrée. Pour en foutenir la dépenfe, les Phocéens montagnards aguerris, mais pauvres, parce que leur pays étoit fans commerce, & produifoit peu,

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Pour moi, non-feulement je fuis convaincu que fi Philippe avoit ci-devant agi par contrainte, ou s'il tenoit préfentement les Thébains pour fufpects, il ne

fe déterminerent à piller le Temple d'Apollon. Il y avoit un tréfor immense. Créfus lui feul, le riche Créfus y avoit envoyé pour couvrir le principal endroit du Temple fix vingts tuiles d'or, dont chacune pefoit deux talents. En un mot, fi nous en croyons Diodore de Sicile, on fondit en or & en argent pour dix mille talents au moins: c'est-à-dire, felon le calcul de M. Dacier, pour trente millions de livres Tournois. Les Thébains, voifins des Phocéens, & leurs ennemis irréconciliables étoient de tous les Grecs les plus acharnés à cette guerre. Ils appelèrent Philippe à leur fecours ; & Philippe encore plus intéressé qu'eux à détruire les Phocéens, parce qu'ils étoient amis d'Athènes, & maîtres des Thermopyles, fe chargea volontiers de fignaler en cette occafion fa piété. Il pouffa l'ardeur de fon zèle pour Apollon, jufqu'à exterminer toutes les villes de la Phocide, n'y laiffer que des villages réduits à foixante feux, &, qui pis eft, condamner ces miférables à un tribut annuel exigible pendant autant d'années qu'il en faudroit pour faire les dix mille talents, qui avoient été volés au Temple de Delphes. Cette fameufe guerre commença, felon Paufanias, la dernière année de l'Olympiade 105 & finit au commencement de l'Olympiade 108.

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