Almamon, j'ai toute ma vie aimé les fpectacles: il ne paffoit pas de troupes de Comédiens dans Aden, que je ne les suivisse trèsexactement. S'il ne s'agit que d'orner une falle, & d'y placer un théâtre, vos ordres feront bientôt exécutés. Voilà juftement ce que je fouhaitois, me dit Almamon; je veux que tu difpofes l'appartement où nous fommes, de maniere qu'il puiffe fervir aux plaifirs que je me propofe : celleque je deftine pour être ma bru demeure dans ce Palais, où elle a été élevée dès l'âge de quatre ans. J'ai vu avec plaifir naître entr'elle & mon fils cette tendre fimpatie qui fait tout le bonheur des mariages, & je fuis d'autant plus content de cette union, que je connois fa famille, & que je fçai qu'elle appartient à d'honnétes-gens, qui fe font toujours diftingués par des Emplois qu'ils

ont remplis dans leur pays avec beaucoup d'honneur & de probité; elle & mon fils aiment paffionnément ces fortes de diver-, tiffemens, & quand, depuis trois ou quatre ans, il s'eft trouvé dans Brava des Comédiens, je n'ai pas manqué de les faire venir chez moi, & de procurer cet amusement à ma famille : elle y a tant pris de plaifir, que fouvent même ceux de mes efclaves qui fe font trouvés avoir quelques talens dans ce genre, ont cherché à les faire valoir en leur présence, & c'eft un pareil fpectacle que je lui deftine dans quelque tems d'ici. J'ai encore, mon cher Mani, une autre confidence à te faire, continua le Gouverneur; j'ai fait enplette il y a huit ou dix jours d'une efclave appellée Zobeyas, je l'aime extraordinairement fans pouvoir bien pénétrer ce qui fe paffe dans mon cœur à fon

&

égard; lorfque je veux lui déclarer ce que je fens pour elle, le refpect cede à la tendreffe m'empêche de lui faire connoître mes fentimens ; d'ailleurs je la vois plongée dans une fi grande trifteffe, que les moyens que j'ai employé depuis ce tems pour la diffiper ont été inutiles; elle garde fur fa naiffance & fur fa condition un fecret d'autant plus impénetrable, que tous ceux de fa compagnie qui étoient fur fon vaiffeau , lorfqu'il fut jetté sur ces côtes, ayant péri dans les flots, ou ayant été tués en se défendant contre les Armateurs de Brava, il ne m'a pas été poffible de découvrir quels font fes parens; je voudrois donc trouver le fecret d'écarter l'humeur fombre qui l'environne, & je compte que tu me ferviras dans cette occafion; je te fournirai bientôt celle de la voir, & de lui par

ler: tâche d'apprendre d'elle le fujet de fon affliction: fais-lui bien entendre que j'y fuis très-sensible, & que je n'oublierai rien pour faire finir fes peines. Seigneur, dis-je alors à Almamon, je me fens trop honoré de la commiffion que je reçois, pour ne m'en pas acquitter avec toute l'ardeur poffible, & je vais dès ce moment travailler à vous fatisfaire. Je donnai alors tous mes foins, pour orner la falle, j'y fis travailler pendant deux jours avec toute l'attention poffible, & mes foins ne furent pas inutiles, puifque la maniere dont je la dispofai, fut très-agréée de mon nouveau maître. Il m'en faifoit des complimens, lorfque fon fils celle qu'il devoit époufer, l'ef clave qu'Almamon honoroit de fes attentions, & toute leur fuite, étant entrés dans le lieu où nous étions, ils s'écrierent tous

fur le goût qui regnoit dans la dif-
position de ce théâtre. A l'égard
de mon maître, qui ne penfoit
qu'à cette jeune perfonne, qui
étoit l'objet de toutes fes atten-
tions, il courut à elle, & par les
empreffemens les plus vifs, il lui
marquoit la fatisfaction qu'il ref-
fentoit de la voir fi belle, lorfque
jettant la vûe fur cette efclave
je reconnus dans elle l'incompa-
rable Margeon. Si je fus affez
maître de moi-même, poursuivit
Katifé, pour m'empêcher de
faire paroître la joie que j'eus en
ce moment de retrouver ma char-
mante veuve, & au même tems
la douleur dont j'étois accablé de
la voir au pouvoir d'un maître qui
venoit de me faire connoître fes

fentimens pour elle, il n'en fut
pas de même de mon adorable
maîtreffe; elle s'avança précipi-
tament vers moi, les bras ouverts,
& en m'embraffant avec une ex-
trême