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de terre, et il parut dans l'air des exhalaisons enflammées. Ces phénomenes purement naturels, mais que le petit peuple ne manqua pas de regarder comme les précurseurs de nouvelles calamités, firent oublier cette affaire pour quelque temps. On ne s'occupoit que de sinistres présages, qui se multiplioient à la faveur de la peur et de la superstition. Les uns avoient vu des spectres qui changeoient à tous momens de formes; d'autres avoient entendu la nuit des voix extraordinaires. * Des historiens célebres n'ont pas fait difficulté de nous rapporter, sur la foi de ces visionnaires, qu'il avoit plu de la chair crue, et que pendant qu'elle tomboit comme des flocons de neige, des oiseaux carnaciers en prenoient en l'air différens morceaux. On eut recours aussitôt aux oracles; on consulta les livres des Sybilles. Les dépositaires de ces livres sacrés,

* Tit. Liv. 1. 3, cap. 10. D. Hal. 1.110, pag. 628.

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tous patriciens, publierent que Rome de Rome étoit menacée de voir des ennemis redoutables assiéger la ville, à la faveur des divisions qui y régnoient. Cette prédiction paroissoit copiée d'après ce qui venoit d'arriver dans l'entreprise de Coriolan. Je ne sais si les tribuns ne soupçonnerent pas les ministres de la religion d'avoir ajusté leur réponse aux vues et aux intérêts du sénat. Mais la populace, qui regardoit le passé comme caution de l'avenir, et qui redoutoit de voir un nouveau Coriolan aux portes de Rome, obligea ses tribuns à conférer avec le sénat, pour tâcher de trouver le moyen de finir leurs divisions. On s'assembla plusieurs fois, mais toujours inutilement. Aucun des deux partis ne vouloit rien relâcher de ses prétentions. Enfin le temps ayant dissipé cette frayeur, que les prêtres avoient tâché d'inspirer au peuple, les tribuns s'assemblerent de nouveau ; et sans consulter le sénat, ils présenterent à la multitude un projet plus développé de la loi de Terentillus.

Cette loi portoit, que le peuple nommeroit incessamment cinq commissaires, qui seroient choisis entre les personnes les plus sages et les plus éclairées du sénat. Que ces commissaires seroient autorisés, pour recueillir et former un corps de loix civiles, tant par rapport aux affaires publiques, qu'à l'égard des différends qui survenoient entre les particuliers ; qu'ils en feroient leur rapport dans une assemblée du peuple, et qu'ils les afficheroient dans la place publique, afin que chacun en pût prendre connoissance, et en dire son avis. Les tribuns, ayant proposé ce projet, déclarerent qu'ils en remettoient la publication au troisieme jour de marché, afin que ceux qui voudroient s'y opposer, pussent librement représenter au peuple les raisons de leur opposi

tion.

Plusieurs sénateurs s'éleverent aussitôt contre cette nouvelle proposition. Ce fut le sujet de beaucoup de disputes, qui ne servoient qu'à traîner les choses

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en longueur. A la fin les tribuns ten-
terent d'emporter l'affaire de hauteur.
Ils convoquerent pour cela une nouvelle
assemblée, où tout le sénat se trouva.
Les premiers de ce corps représenterent
au peuple, malgré les tribuns, qu'il
étoit inoui
que, sans sénatus-consulte,
sans prendre les auspices, et sans con-
sulter ni les dieux, ni les premiers hom-
mes de la république, une partie des
citoyens, et la partie la moins consi-
dérable, entreprît de faire des loix qui
devoient être communes à tous les or-
dres de l'état. Ils firent goûter leurs rai-
sons à ceux des plébéiens qui leur pa-
roissoient les plus raisonnables. La plus
vile populace, au contraire, prévenue
par ses tribuns, demandoit avec de
grands cris qu'on délivrât les bulletins,
et qu'on recueillît les suffrages; mais
les plus jeunes sénateurs et les patri-
ciens firent échouer ce projet. Quintius
Ceson, fils de Quintius Cincinnatus
personnage illustre et consulaire, étoit,
à leur tête il se jette dans la foule,

frappe et écarte tout ce qui se présentoit devant lui: et à la faveur de ce tumulte, qu'il avoit excité exprès, il dissipe l'assemblée, malgré les tribuns qui firent inutilement ce qu'ils purent pour la retenir.

Les sénateurs et les patriciens donnerent à Ceson des louanges, qui ne servirent qu'à exciter encore davantage son audace et son animosité contre le peuple. C'étoit un jeune homme d'une figure agréable, d'une taille avantageuse, et d'une force de corps extraordinaire naturellement fier, hardi et intrépide, il ne connoissoit point le péril, et il s'étoit déja distingué à la guerre par des actions d'une valeur surprenante. Comme il n'avoit pas moins d'éloquence que de courage, et qu'il étoit toujours le premier à répondre aux harangues séditieuses des tribuns, ces magistrats, outrés de trouver en lui seul l'animosité de tous les patriciens, conjurerent sa perte. Après être convenus entre eux des chefs d'accusation, A.

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