« et que les principaux conjurés, partagés en différentes bandes, iroient, « à la faveur des ténebres, surprendre «<et attaquer chacun les maisons des << tribuns, et qu'on devoit nous égor«ger tous dans la même nuit avec les principaux du peuple, et ceux qui, « dans les assemblées, faisoient paroître « le plus de zele pour la défense de la <<< liberté. « Nous vous conjurons, peres cons cripts, de ne nous pas abandonner à << la fureur de ces scélérats. Pour pré<< venir leurs mauvais desseins, nous 30 сс espérons que vous ne nous refuserez « pas un sénatus - consulte, qui nous << autorise d'informer nous-mêmes de << cette conspiration, et d'en faire ar« rêter les chefs. Il est bien juste que « les magistrats du peuplè prennent «< connoissance par eux-mêmes de ce qui regarde le salut même de tout le сс peuple, et qu'on ne prétende point « retarder à l'ordinaire, et par des dis« cours étudiés, ni la délibération, ni An de Rome 293. An de Rome 293. « l'arrêt que nous demandons. Tout <<< retardement seroit dangereux; c'est << peut-être cette nuit même que doit << éclater une si furieuse conspiration, <<< et il n'y a que des conjurés qui puis<< sent s'opposer à la recherche de la « conjuration. » Tous les sénateurs détesterent une pareille entreprise; mais ils étoient partagés sur la réponse qu'on devoit faire à Virginius. Les plus timides craignoient qu'un refus ne fît soulever le peuple, et n'excitât une sédition. Ceux au contraire qui étoient d'un caractere plus ferme, représentoient qu'il n'étoit pas moins dangereux d'accorder un sénatusconsulte aux tribuns, que de donner des armes à des furieux et à des frénétiques qui les tourneroient aussitôt contre les principaux du sénat. Parmi ces différens avis, C. Claudius, un des consuls, se leva, et adressant la parole à Virginius, lui déclara qu'il ne s'opposoit point à l'information qu'il demandoit; qu'il consentoit même qu'on An de Rome en donnât la commission à des magistrats plébéiens; mais qu'il requéroit, 23. avant toute chose, qu'on examinât si la conjuration étoit bien réelle : «< Voyons сс donc, lui dit-il, de qui est cette <<< lettre si mystérieuse que vous avez << reçue dans votre tribunal; quels sont <<< les sénateurs et les chevaliers qui y <<< sont nommés. Que ne les nommez<<< vous vous-mêmes? Il nous reste en<«< core assez de temps pour connoître « ces grands coupables. Pourquoi n'a« vez-vous pas au moins fait arrêter le « porteur d'une lettre anonyme, qui <<< renfermoit une accusation si atroce <<< contre les premieres personnes de la « république? Je ne suis moins surpris de ce que vous ne nous avez point «fait voir ce rapport admirable, qui se <<< trouve entre les indices qui vous ont fait soupçonner qu'il y avoit une con cc. CC « pas juration, et la lettre qui vous en dé«couvre les chefs et les complices. «Est-il possible que vous ayez pu vous persuader que le sénat abandonne An de Rome 293. « roit à votre fureur nos plus illustres сс citoyens, sur une simple lettre desti<< tuée de toute espece de preuve ? сс « Oui, peres conscripts, les tribuns « s'en sont flattés, et la facilité avec laquelle vous venez de souffrir qu'on « nous ait enlevé Ceson, a fait croire « à ces magistrats séditieux, que sous << un gouvernement si foible, ils pou<< voient tout oser. Voilà le fondement « de ce fantôme de conspiration, dont « on nous a voulu faire peur; et s'il y « a quelque péril à craindre pour l'é<<< tat, il ne peut venir que de ces flat«teurs du peuple, qui, voulant passer « pour les défenseurs de la liberté publique, en sont véritablement les « ennemis. >> сс Ce discours, prononcé avec fermeté par un consul dont tout le monde connoissoit la pénétration et la probité, étourdit les tribuns. Ils sortirent du sénat couverts de confusion, et pleins de fureur. Le peuple les attendoit : ils se rendirent à l'assemblée, où ils se déchaînerent également contre les consuls et contre tout le sénat. Mais C. Claudius les suivit ; il monta ; le premier à la tribune aux harangues, animé de cette confiance que donne la vérité; il s'expliqua devant le peuple de la même maniere qu'il venoit de faire dans le sénat; et il parla avec tant de force et d'éloquence, que les plus gens de bien parmi le peuple demeurerent convaincus, que ce plan secret d'une conjuration, dont les tribuns faisoient tant de bruit, n'étoit qu'un artifice dont ils se servoient pour pouvoir perdre leurs ennemis. Il n'y eut que la plus vile populace qui voulut toujours croire la réalité de cette conspiration imaginaire, qui servoit à repaître son animosité contre les patriciens; et les tribuns l'entretenoient avec soin dans une erreur qui leur donnoit lieu de se faire valoir. Dans un état si rempli de troubles et d'agitations, Rome fut à la veille de passer sous une domination étrangere. An de Rome 293. |