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plice dont on punissoit les ennemis de la patrie.

Les édiles, ministres ordinaires de toutes les violences des tribuns, s'avancèrent pour se saisir de sa personne'; mais le sénat et tout ce qu'il y avoit de patriciens dans l'assemblée accoururent à son secours. Ils le mirent au milieu d'eux, et s'étant fait des armes des premiers objets que l'indignation et la colère leur présentoient, ils paroissoient résolus d'opposer la force à la violence.

Le peuple, qui craint toujours quand on ne le craint point, refusa son secours aux édiles, et demeura comme en suspens, soit qu'il n'osât attaquer un gros où il voyoit ses magistrats et ses capitaines, soit qu'il trouvât que ses tribuns eussent poussé l'animosité trop loin, en condamnant un citoyen à mort pour de simples paroles. Sicinius, qui craignoit que Coriolan ne lui échappât, fit approcher Brutus, son conseil et son oracle, aussi séditieux mais moins emporté, et qui avoit des vues plus étendues. Il lui demanda secrètement son avis sur l'irrésolution du peuple, qui déconcertoit tous ses desseins.

Brutus lui dit qu'il ne devoit pas se flatter de pouvoir faire périr Coriolan, tant qu'il seroit environné de toute la noblesse qui lui servoit de garde ; qu'on murmuroit même dans l'assemblée 'Dion. Halic. lib. VII, pag. 475. Plut. in Coriol.

dece qu'il vouloit être en même temps juge et partie, que le peuple, qui passe en un instant de la colère la plus violente à des sentiments de compassion, avoit trouvé trop de rigueur dans la condamnation de mort; que dans la disposition où il voyoit les esprits, il ne réussiroit pas assurément par les voies de fait, mais que sous le prétexte toujours spécieux de ne vouloir rien faire que dans les formes, il devoit exiger du sénat que Coriolan pût être jugé par l'assemblée du peuple, et surtout qu'il falloit obtenir, à quelque prix que ce fût, que l'assemblée seroit convoquée par tribus, où les grands et les plus riches étoient confondus avec les plus pauvres; au lieu que si on recueilloit les suffrages par centuries, il étoit à craindre que les citoyens riches, qui seuls en composoient le plus grand nombre, ne sauvassent Coriolan.

Sicinius s'étant déterminé à suivre cet avis, fit signe au peuple qu'il vouloit parler, et après qu'on lui eut donné audience : « Vous voyez, << Romains, leur dit-il, qu'il ne tient pas aux patriciens qu'on ne répande aujourd'hui beau« coup de sang, et qu'ils sont près d'en venir << aux mains, pour soustraire à la justice l'enne« mi déclaré du peuple romain. Mais nous leur << devons de meilleurs exemples, nous ne ferons rien avec précipitation. Quoique le criminel

<<< soit assez convaincu par son propre aveu, << nous voulons bien lui donner encore du temps << pour préparer ses défenses. Nous t'ajournons, << dit-il en s'adressant à Coriolan, à comparoître << devant le peuple dans vingt-sept jours. A l'égard de la distribution des grains, si le sénat «< n'en prend pas le soin qu'il doit, les tribuns y << donneront ordre eux-mêmes; » et là-dessus il congédia l'assemblée.

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Le sénat, pendant cet intervalle, pour se rendre le peuple favorable, fixa la vente des grains au plus bas prix qu'ils eussent été même avant la sédition, et les consuls entrèrent en conférence avec les tribuns sur l'affaire de Coriolan, dans la vue de les adoucir et de réduire ces magistrats populaires à se conformer aux anciennes règles du gouvernement. Minucius, qui portoit la parole, leur représenta que depuis la fondation de Rome, on avoit toujours rendu ce respect au sénat, de ne renvoyer aucune affaire au jugement du peuple que par un sénatus-consulte; que les rois même avoient eu cette déférence pour un corps si auguste; qu'il les exhortoit à se conformer aux usages de leurs ancêtres. Mais que s'ils avoient des griefs considérables à proposer contre Coriolan, ils s'adressassent au sénat, qui leur feroit justice, et qui, sur la nature du crime et la solidité des preuves, le renverroit par un

sénatus-consulte au jugement du peuple, qui pour lors seulement seroit en droit de faire le procès à un citoyen.

Sicinius s'opposa, avec son insolence ordinaire, à cette proposition, et il déclara qu'il ne souffriroit jamais que l'on décidât par un sénatus-consulte de l'autorité du peuple romain. Ses collègues, aussi mal-intentionnés, mais plus habiles dans la conduite de leurs desseins, virent bien qu'ils se rendroient odieux même aux plébéiens, s'ils s'éloignoient si ouvertement des formes ordinaires de la justice. Ainsi ils obligèrent Sicinius à se désister de son opposition, sous prétexte de condescendance pour les consuls. Mais cette complaisance apparente leur coûtoit d'autant moins, qu'ils étoient bien résolus, si le sénatus-consulte ne leur étoit pas favorable, de se fonder sur la loi Valéria, pour en appeler devant l'assemblée du peuple; et par là cette affaire devoit toujours revenir à leur tribunal; et il n'étoit au plus question que de savoir si elle y seroit portée en première ou en seconde instance.

Ainsi ces tribuns convinrent sans peine que le sénat décideroit à son ordinaire si le peuple devoit prendre connoissance de cette accusation, et ils demandèrent seulement qu'ils pussent être entendus dans le sénat sur les griefs qu'ils prétendoient proposer contre l'accusé.

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Les consuls et les tribuns étant convenus de cette forme préliminaire, on introduisit le lendemain ces magistrats du peuple dans le sénat. Décius, un de ces tribuns, quoique le plus jeune, portoit la parole, et on lui avoit déféré cet honneur à cause de son éloquence et de sa facilité à s'énoncer en public: qualité indispensable dans tout gouvernement populaire, et surtout à Rome, où le talent de la parole n'étoit pas moins nécessaire pour s'avancer, que le courage et la valeur. Ce tribun s'adressant à tout le sénat, «< Vous savez, pères conscrits, leur dit-il, qu'ayant chassé les rois par notre secours, vous établîtes dans la république la forme du gou<< vernement qui s'y observe, et dont nous ne <«< nous plaignons pas. Mais vous n'ignorez pas << aussi que dans tous les différends que de pau«<vres plébéiens eurent dans la suite avec des « nobles et des patriciens, ces plébéiens per<< doient toujours leurs procès, parce que leurs parties étoient leurs juges, et que tous les tri<< bunaux n'étoient remplis que de patriciens. Cet « abus obligea P. Valérius Publicola, ce sage consul et cet excellent citoyen, d'établir la loi qui permettoit d'appeler devant le peuple des or<< donnances du sénat et du jugement des con<<< suls.

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« Telle est la loi appelée Valéria, qu'on a

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