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nales de Malte un style plus languissant, moins pur, moins naturel que celui de ses autres ouvrages, et qu'il n'est pas exempt du reproche d'inexactitude qu'on lui a fait.

Quand Vertot lisoit des parties détachées de ses ouvrages, on découvroit bientôt une autre source de leur force et de leur beauté. A peine avoit-il lu quelques pages que, s'unissant insensiblement à son sujet, il prenoit enfin réellement la place du héros, s'abandonnoit à toute l'impétuosité de son courage, et alloit jusqu'à perdre la respiration. On l'a vu s'attendrir et verser des larmes avec la mère de Coriolan aux pieds de son fils. Or s'il est aisé de surprendre la tendresse et la confiance des hommes par un tissu d'aventures ingénieusement imaginées et agréablement rendues, quelle impression ne doit point faire sur eux le récit des faits importants généralement reconnus pour vrais, et encore plus de cette espèce de vie qu'un auteur bien pénétré est seul capable de leur conserver!

Cet écrivain célèbre, qui appartient au beau siècle de Louis XIV, mourut au Palais royal, le 15 juin 1735, âgé de près de quatre-vingt-un ans.

DES FONDEMENTS DE LA RÉPUBLIQUE ROMAINE, ET DES PRINCIPALES CAUSES DE SA DÉCADEnce.

L'amour de la liberté a été le premier objet des Romains dans l'établissement de la république, et la cause ou le prétexte des révolutions dont nous entreprenons d'écrire l'histoire. Ce fut cet amour de la liberté qui fit proscrire la royauté, qui diminua l'autorité du consulat, et qui en suspendit le titre en différentes occasions. Le peuple même, pour balancer la puissance des consuls, voulut avoir des protecteurs particuliers tirés de son corps; et ces magistrats plébéiens, sous prétexte de veiller à la conservation de la liberté, s'érigèrent insensiblement en tuteurs des lois, et en inspecteurs du sénat et de la noblesse.

Ces inquisiteurs d'état tenoient en respect les consuls même et les généraux. On verra dans la suite de cette histoire qu'ils les obligeoient souvent, quand ils étoient sortis de charge, de venir rendre compte devant l'assemblée du peuple de leur administration, et du succès de leurs armes. Ce n'étoit pas assez que de vaincre; l'éclat des plus grandes victoires ne mettoit point à couvert de leurs recherches le géné

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ral qui n'avoit pas assez ménagé la vie de ses soldats, ou qui, pendant la campagne, les avoit traités avec trop de hauteur : il falloit qu'il sût allier la dignité du commandant avec la modestie du citoyen. Des qualités trop brillantes étoient même suspectes dans un état où l'on regardoit l'égalité comme le fondement de la liberté publique. Les Romains prenoient ombrage des vertus qu'ils ne pouvoient s'empêcher d'admirer; et ces fiers républicains ne souffroient point qu'on les servît avec des talents supérieurs et capables de les assujettir.

Ceux qui étoient convaincus d'avoir employé d'indignes voies pour parvenir au commandement en étoient exclus pour toujours. Les charges et les emplois, si on en excepte la censure, n'étoient qu'annuels. Un consul, en sortant du consulat, ne conservoit d'autorité que celle que lui donnoit son mérite personnel : et après avoir commandé en chef les armées de la république, on le voyoit souvent servir dans les mêmes armées sous son successeur. Il ne pouvoit rentrer dans le consulat qu'après un interstice de dix ans; et on évitoit de laisser cette grande dignité trop long-temps dans la même famille, de peur de rendre insensiblement le gouvernement héréditaire.

Mais de toutes les précautions que les Romains prirent pour maintenir leur liberté, aucune ne paroît plus digne d'admiration que cet attachement qu'ils conservèrent long-temps pour la pauvreté de

leurs ancêtres. Cette pauvreté, qui dans les premiers habitants de Rome étoit un pur effet de la nécessité, devint une vertu politique sous leurs successeurs. Les Romains la regardèrent comme la gardienne la plus sûre de la liberté : ils surent même la rendre honorable, afin de l'opposer comme une barrière au luxe et à l'ambition. Ce détachement des richesses à l'égard des particuliers se tourna en maxime de gouvernement. Un Romain mettoit sa gloire à conserver sa pauvreté, en même temps qu'il exposoit tous les jours sa vie pour enrichir le trésor public. Chacun se croyoit assez riche des richesses de l'état, et les généraux, comme les simples soldats, n'attendoient leur subsistance que de leur petit héritage, qu'ils cultivoient de leurs mains : Gaudebat tellus vomere laureato '.

Les premiers Romains étoient tous laboureurs, et les laboureurs étoient tous soldats. Leur habillement étoit grossier, la nourriture simple et frugale, le travail assidu. Ils élevoient leurs enfants dans cette vie dure, afin de les rendre plus robustes et plus capables de soutenir les fatigues de la guerre. Mais, sous des habits rustiques, on trouvoit une valeur incomparable, de l'élévation, et de la grandeur dans les sentiments. La gloire étoit leur unique passion, et ils la faisoient consister à défendre leur liberté, et à se rendre maîtres de celle de leurs voisins. Des écrivains modernes, qui ne peuvent souffrir Plin. nat. lib. XVIII, c. 4.

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de vertus pures dans les anciens, prétendent qu'on fait un mérite à ces premiers Romains de leur grossièreté, et qu'ils ne méprisoient les richesses que parce qu'ils en ignoroient le prix et les agréments.

Mais, pour répondre à cette objection, on n'a qu'à jeter les yeux sur la suite de cette histoire, et on verra que dans le cinquième et le sixième siècle de la fondation de Rome, dans le temps même que la république étoit maîtresse de toute l'Italie et d'une partie de la Sicile, de l'Espagne, des Gaules, et même de l'Afrique, on tiroit encore les généraux de la charrue : Attilii manus rustico opere attritæ, salutem publicam stabilierunt. Quelle gloire pour un état d'avoir des capitaines capables de lui conquérir de grandes provinces, et assez désintéressés pour conserver leur intégrité au milieu de leurs conquêtes!

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Je ne parle point des lois somptuaires', qui étoient en vigueur dans le sixième siècle, et qui, sans distinction pour la naissance, les biens de la fortune, ou les dignités, régloient la dépense de tous les citoyens. Rien n'a échappé aux sages législateurs qui établirent de si sévères réglements. Tout y est fixé, soit pour les vêtements, soit pour la dépense de la table, le nombre des convives dans les festins, et jusqu'aux frais des funérailles., Qu'on lise la loi '

1 Val. Max. 1. IV, c. 4. Cicer. pro. S. Roscio. Plin. l. XVIII, c. 4. a Macrobii Saturn, 'quæst. lib. II, caput 13. 3 Pauli Manutii, de legib. sumpt. fol. 42–43, editio anni 1557.

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