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une guerre qui dura plusieurs années. Les Céniniens furent les premiers qui firent éclater leur ressentiment. Ils entrèrent en armes sur les terres des Romains. Romulus marcha aussitôt contre eux, les défit, tua leur roi, ou leur chef, appelé Acron, prit leur ville, et en emmena tous les habitants, qu'il obligea de le suivre à Rome, où il leur donna les mêmes droits et les mêmes priviléges qu'aux autres citoyens. Ce prince rentra dans Rome, chargé des armes et des dépouilles de son ennemi dont il s'étoit fait une espèce de trophée, et il les consacra à Jupiter Férétrien comme un monument de sa victoire; origine de la cérémonie du triomphe chez les Romains. Les Antemnates et les Crustuminiens n'eurent pas un sort plus favorable que les Céniniens. Il furent vaincus; Antemnes et Crustuménie furent prises. Romulus ne les voulut point détruire; mais comme le pays étoit gras et abondant, il y établit deux colonies qui lui servoient de ce côté-là comme de gardes avancées contre les incursions de ses autres ennemis. Tatius, roi de Cures dans le pays des Sabins, prit à la vérité les armes le dernier, mais il n'en fut pas moins redoutable : il surprit par trahison la ville de Rome, et pénétra jusque dans la place. Il y eut un combat sanglant et très opiniâtre, sans qu'on en pût prévoir le succès, lorsque ces

Sabines, qui étoient devenues femmes des Romains, et dont la plupart en avoient déjà eu des enfants, se jetèrent au milieu des combattants, et par leurs prières et leurs larmes suspendirent l'animosité réciproque. On en vint à un accommodement; les deux peuples firent la paix; et, pour s'unir encore plus étroitement, la plupart de ces Sabins, qui ne vivoient qu'à la campagne, ou dans des bourgades et de petites villes, vinrent s'établir à Rome. Ainsi ceux qui le matin avoient conjuré la perte de cette ville en devinrent avant la fin du jour les citoyens et les défenseurs. Il est vrai qu'il en coûta d'adord à Romulus une partie de sa souveraineté : il fut obligé d'y associer Tatius, le roi des Sabins; et cent des plus nobles de cette nation furent admis en même temps dans le sénat. Mais Tatius ayant été tué depuis par des ennemis particuliers, on ne lui donna point de successeur; Romulus rentra dans tous ses droits, et réunit en sa personne toute l'autorité royale.

Les sénateurs sabins et tous ceux qui les avoient suivis devinrent insensiblement Romains; Rome commença à être regardée comme la plus puissante ville de l'Italie; on y comptoit avant la fin du règne de Romulus jusqu'à quarante-sept mille habitans, tous soldats, tous animés du même esprit, et qui n'avoient pour

objet que de conserver leur liberté, et de se rendre maîtres de celle de leurs voisins. Mais cette humeur féroce et entreprenante les rendoit moins dociles pour les ordres du prince; d'un autre côté l'autorité souveraine, qui ne cherche souvent qu'à s'étendre, devint suspecte et odieuse dans le fondateur même de l'état.

Romulus, victorieux de cette partie des Sabins, voulut régner trop impérieusement sur ses sujets et sur un peuple nouveau qui vouloit bien lui obéir, mais qui prétendoit qu'il dépendît luimême des lois dont il étoit convenu dans l'établissement de l'état. Ce prince au contraire rappeloit à lui seul toute l'autorité qu'il eût dû partager avec le sénat et l'assemblée du peuple. Il fit la guerre à ceux de Comerin, de Fidène, et à ceux de Veïes, petites villes comprises entre les cinquante-trois peuples que Pline dit qui habitoient l'ancien Latium', mais qui étoient si peu considérables qu'à peine avoient-ils un nom dans le temps même qu'ils subsistoient, si on en excepte Veies', ville célèbre de la Toscane. Romulus vainquit ces peuples les uns après les autres, prit leurs villes, dont il ruina quelquesunes, s'empara d'une partie du territoire des autres, dont il disposa depuis de sa seule autorité. Le sénat en fut offensé, et il souffroit im

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'Plin. l. III, c. 5.- Virg. Æneid. lib. VI.

patiemment que le gouvernement se tournât en pure monarchie. Il se défit d'un prince qui devenoit trop absolu. Romulus, âgé de cinquantecinq ans, et après trente-sept ans de règne, disparut sans qu'on ait pu découvrir de quelle manière on l'avoit fait périr. Le sénat, qui ne vouloit pas qu'on crût qu'il y eût contribué, lui dressa des autels après sa mort, et il fit un dieu de celui qu'il n'avoit pu souffrir pour souverain.

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L'autorité royale, par la mort de Romulus, se trouva confondue dans celle du sénat. Les sénateurs convinrent de la partager, et chacun, sous le nom d'entre-roi, gouvernoit à son tour pendant cinq jours, et jouissoit de tous les honneurs de la souveraineté. Cette nouvelle forme de gouvernement dura un an entier, et le sénat ne songeoit point à se donner un nouveau souverain. Mais le peuple, qui s'aperçut que cet interrègne ne servoit qu'à multiplier ses maîtres, demanda hautement qu'on y mît fin: il fallut que le sénat relâchât à la fin une autorité qui lui échappoit. Il fit proposer au peuple s'il vouloit qu'on procédât à l'élection d'un nouveau roi, ou qu'on choisît seulement des magistrats annuels qui gouvernassent l'état. Le peuple, par estime et par déférence pour le sénat, lui remit le choix

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Tit. Liv. Dec. 1, l. I, c. 17. — ' Plut. in Numa Pom

pilio.

de ces deux sortes de gouvernement. Plusieurs sénateurs, qui goûtoient le plaisir de ne voir dans Rome aucune dignité au-dessus de la leur, inclinoient pour l'état républicain; mais les principaux de ce corps, qui aspiroient secrètement à la couronne, firent décider à la pluralité des voix qu'on ne changeroit rien dans la forme du gouvernement. Il fut résolu qu'on procéderoit à l'élection d'un roi ; et le sénateur qui fit le dernier durant cet interrègne la fonction d'entre- roi, adressant la parole au peuple en pleine assemblée, lui dit : «< Elisez un roi, Romains, le sénat y con<< sent; et si vous faites choix d'un prince digne « de succéder à Romulus, le sénat le confirmera << dans cette suprême dignité. » On tint pour cette importante élection une assemblée générale du peuple romain. Nous croyons qu'il ne sera pas inutile de remarquer ici qu'on comprenoit sous ce nom d'assemblée du peuple, non seulement les plébéiens, mais encore les sénateurs, les chevaliers, et généralement tous les citoyens romains qui avoient droit de suffrage, de quelque rang et de quelque condition qu'ils fussent. C'étoit comme les états-généraux de la nation, et on avoit appelé ces assemblées, assemblées du peuple, parceque les voix s'y comptant par tête, les plébéiens seuls, plus nombreux que les deux autres ordres de l'état, décidoient ordinaire

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