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Oppia, on verra qu'elle défend aux dames romaines de porter des habits de différentes couleurs ; d'avoir dans leur parure des ornements qui excédassent la valeur d'une demi-once d'or, et de se faire porter dans un chariot à deux chevaux plus près de Rome que d'un mille, à moins que ce ne fût pour assister à quelque sacrifice. La loi Orchia régloit le nombre des convives qu'on pouvoit inviter à un festin; et la loi Phannia ne permettoit pas d'y dépenser plus de cent asses, Centenos æris: ce qui revenoit environ à cinquante sous de notre monnoie. Enfin la loi Cornelia fixoit à une somme encore plus modique la dépense qu'on pouvoit faire aux funérailles; tous réglements qui pourront paroître peu dignes de la grandeur et de la puissance à laquelle les Romains étoient déjà parvenus, mais qui en éloignant le luxe des familles particulières faisoient la force et la sûreté de l'état.

A la faveur de cette pauvreté volontaire, et d'une vie laborieuse, la république n'élevoit dans son sein "que des hommes forts, robustes, pleins de valeur, et qui, n'attendant rien les uns des autres, conservoient dans une indépendance réciproque la liberté de la patrie. Ce furent ces illustres laboureurs qui, en moins de trois cents ans, assujettirent les peuples les plus belliqueux de l'Italie, défirent des armées prodigieuses de Gaulois, de Cimbres, et de Teutons, et ruinèrent la puissance formidable de Carthage. Mais après la destruction de cette rivale de Rome,

les Romains, invincibles au dehors, succombèrent sous le poids de leur propre grandeur.

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L'amour des richesses et le luxe entrèrent dans Rome avec les trésors des provinces conquises; et cette pauvreté et cette tempérance, qui avoient formé tant de grands capitaines, tombèrent dans le mépris.

Fœcunda virorum

Paupertas fugitur.

LUCAN. lib. I, v. 165.

Et ce qui est de plus surprenant, c'est, dit Velleius Paterculus, que ce ne fut pas même par degrés, mais tout-à-coup, que se fit un si grand changement, et que les Romains se précipitèrent dans le luxe et dans la mollesse : Sublatá imperii æmulá, non gradu, sed præcipiti cursu, à virtute descitum, ad vitia transcursum. Les voluptés prirent la place de la tempérance; l'oisiveté succéda au travail, et l'intérêt particulier éteignit ce zèle et cette ardeur que leurs ancêtres avoient fait paroître pour l'intérêt public. En effet, il semble que ce soit une autre nation qui va paroître sur la scène. Une corruption générale se répandit bientôt dans tous les ordres de l'état. La justice se vendoit publiquement dans les tribunaux ; on consignoit sur la place pour acheter les suffrages du

' Vell. Pat. lib. II, cap. 4.

peuple; et les consuls, après avoir acquis cette grande dignité par leurs brigues, ou à prix d'argent, n'alloient plus à la guerre que pour s'enrichir des dépouilles des nations, et souvent pour ravager euxmêmes les provinces qu'ils eussent dû conserver et défendre.

De là vinrent les richesses immenses de quelques généraux. Qui pourroit croire qu'un citoyen romain, que Crassus ait eu plus de sept mille talents de bien'? Je ne parle point des trésors que Lucullus rapporta de l'Asie, et Jules César des Gaules. Le premier à son retour fit bâtir des palais et y vécut avec une magnificence et une délicatesse que les anciens rois de Perse auroient eu bien de la peine à imiter; et César, plus ambitieux, outre un grand nombre d'officiers et de soldats qu'il enrichit par des libéralités intéressées, se servit encore de l'argent des Gaulois pour corrompre les premiers de Rome, et acheter la liberté de sa patrie.

Il falloit que les provinces fournissent à ces dépenses immenses. Les généraux, sous prétexte de faire subsister leurs troupes, s'emparoient des revenus de la république et l'état s'affoiblissoit à proportion que les particuliers devenoient puissants.

Outre les tributs ordinaires, les commandants exigeoient tous les jours de nouvelles sommes, ou à titre de présents, à leur entrée dans la province, ou par forme d'emprunt; souvent même on ne cherchoit

1 Dix millions cinq cent mille livres.

plus de prétextes : c'étoit assez pour piller le peuple, et pour établir de nouveaux impôts, que de leur donner de nouveaux noms. Cujus modo rei nomen reperiri poterat, hoc satis esse ad cogendas pecunias. Et ce qui étoit encore plus insupportable, c'est que pour avoir de l'argent comptant, on remettoit la levée de ces tributs extraordinaires à des publicains, qui, sous prétexte d'avoir avancé leurs deniers, doubloient les dettes des provinces, et absorboient par des usures énormes les revenus de l'année sui

vante.

Toutes ces richesses fondoient à Rome; des fleuves d'or ou, pour mieux dire, le plus pur sang des peuples y couloit de toutes les provinces, et y portoit un luxe affreux. On voyoit s'élever tout-à-coup, et comme par enchantement, de superbes palais, dont les murailles, les voûtes, et les plafonds étoient dorés. Ce n'étoit pas assez que les lits et les tables fussent d'argent, il falloit encore que ce riche métal fût gravé, ou qu'il fût orné de bas-reliefs de la main des plus excellents ouvriers.

0 pater urbis!

Unde nefas tantùm latiis pastoribus!

JUVEN. sat. II, v. 126.

C'est de Sénéque que nous apprenons un changement si surprenant dans les mœurs des Romains, et qui,

1 Cæs. de Bel. civil. lib. III, cap. 32.

étant lui-même riche de sept millions d'or, n'a point eu de honte de nous laisser ces excellents discours sur la pauvreté, que tout le monde admire dans ses ouvrages. Par quelle règle de philosophie, s'écrioit Suillius, Sénéque a-t-il acquis, en quatre ans de faveur, plus de sept millions d'or? Il lui reprochoit que sa principale étude étoit de courir après les testaments, de prendre comme dans un filet ceux qui n'avoient point d'enfants, et de remplir l'Italie et les provinces de ses usures: Quá sapientiá, quibus philosophorum præceptis, intra quadriennium regiæ amicitiæ, ter millies sestertium paravisset? Romæ testamenta etorbos velu,tindagine ejus capi, Italiam et provincias immenso fænore hauriri.

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Tout l'argent de l'état étoit entre les mains de quelques grands, des publicains, et de certains affranchis plus riches que leurs patrons. Personne n'ignore que ce magnifique amphithéâtre qui portoit le nom de Pompée, et qui pouvoit contenir jusqu'à quarante mille personnes, avoit été bâti des deniers de Démétrius son affranchi. Quem non puduit, dit Sénéque, locupletiorem esse Pompeio.

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Pallas, autre affranchi, et aussi riche que Sénèque, pour avoir refusé une gratification de l'empereur Claude son maître, en fut loué solennellement en plein sénat et comparé à ces anciens Romains

Tac. Ann. 1. XIII, c. 42. 3 Senec. de. Tranq. animæ, cap. 8.

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Dion Cass. 1. XXXIX.

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