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pôt de l'argent public qui se levoit pour fournir aux frais de la guerre; on le porta dans le temple de Saturne, et le peuple par son conseil élut deux sénateurs qu'on appella depuis Questeurs', qui furent chargés des deniers publics. Il déclara ensuite Lucretius, père de Lucrèce, son collégue au consulat; et il lui céda même, à cause qu'il étoit plus âgé, l'honneur de faire porter devant lui les faisceaux de verges, et toutes les marques de la souveraine puissance.

Une conduite si pleine de modération, et des ·lois si favorables au peuple, firent donner à ce patricien le nom de Publicola, ou de populaire, et ce fut moins pour mériter ce titre que pour attacher plus étroitement le peuple à la défense de la liberté publique, qu'il relâcha de son autorité par ces différents réglements.

Le sénat, animé du même esprit, et qui comprenoit de quelle conséquence il lui étoit d'intéresser le peuple à la conservation de la république, eut grand soin de sa subsistance pendant la guerre et le siége de Rome. Il envoya en différents endroits de la Campanie, et jusqu'à Cumes, chercher du blé qu'on distribua au peuple à vil prix, de peur que, s'il manquoit de pain, il ne fût tenté d'en acheter aux dépens

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Publius Veturius, Minutius Marcus.

Digest. lib. I, tit 13. Tacit. lib. I.

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· Ulpian

de la liberté commune, et qu'il n'ouvrit les portes de Rome à Tarquin.

Le sénat voulut même que le peuple ne payât aucun impôt pendant la guerre. Ces sages sénateurs se taxèrent eux-mêmes plus haut que les autres, et il sortit de cette illustre compagnie cette maxime si généreuse et si pleine d'équité: Que le peuple payoit un assez grand tribut à << la république, en élevant des enfants qui pussent un jour la défendre. »

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Mais une si juste condescendance pour besoins du peuple ne dura qu'autant que durèrent le siége de Rome et la crainte des armes de Tarquin. A peine la fortune de la république parut-elle affermie par la levée de ce siége, qu'on vit éclater l'ambition des patriciens et le sénat fit bientôt sentir qu'en substituant deux consuls tirés de son corps en la place du prince, le peuple n'avoit fait que changer de maîtres, et que c'étoit toujours la même autorité, quoique sous des noms différents.

La royauté étoit, à la vérité, abolie; mais l'esprit de la royauté n'étoit pas éteint: il étoit passé parmi les patriciens. Le sénat, délivré de la puissance royale qui le tenoit en respect, voulut réunir dans son corps toute l'autorité du gouvernement. Il possédoit, dans les dignités civiles et militaires attachées à cet ordre, la

puissance, et même les richesses qui en sont une suite : et le premier objet de sa politique fut de tenir toujours le peuple dans l'abaissement et dans l'indigence.

Ce peuple, dont les suffrages étoient recherchés si ambitieusement dans les élections et dans les assemblées publiques, tomboit dans le mépris hors des comices. La multitude en corps étoit ménagée avec de grands égards, mais le plébéien particulier étoit peu considéré; aucun n'étoit admis dans l'alliance des patriciens. La pauvreté réduisit bientôt le peuple à des emprunts qui le jetèrent dans une dépendance servile des riches; ensuite vint l'usure, remède encore plus cruel que le mal; enfin la naissance, les dignités, et les richesses, mirent une trop grande inégalité parmi les citoyens d'une même république.

Les vues de ces deux ordres devinrent bientôt opposées. Les patriciens, pleins de valeur, accoutumés au commandement, vouloient toujours faire la guerre, guerre, et ils ne cherchoient qu'à étendre la puissance de la république au-dehors; mais le peuple vouloit Rome libre audedans, et il se plaignoit que pendant qu'il exposoit sa vie pour subjuguer les peuples voisins, il tomboit souvent lui-même, au retour de la campagne, dans les fers de ses propres concitoyens, par l'ambition et l'avarice des grands;

c'est ce qu'il faut développer, comme le fondement des révolutions dont nous allons parler.

De toutes les manières de subsister que les besoins de la nature ont fait inventer aux hommes, les Romains ne pratiquoient que le labourage et la guerre; ils vivoient de leur moisson, ou de la récolte qu'ils faisoient l'épée à la main sur les terres de leurs ennemis '. Tous les arts mécaniques qui n'avoient point pour objet ces deux professions étoient ignorés à Rome, ou abandonnés aux esclaves et aux étrangers. Généralement parlant, tous les Romains, depuis les sénateurs jusqu'aux moindres plébéiens, étoient laboureurs, et tous les laboureurs étoient soldats: et nous verrons dans la suite de cette histoire, qu'on alloit prendre à la charrue de grands capitaines pour commander les armées. Tous les Romains, même les premiers de la république, accoutumoient leurs enfants à de semblables travaux, et ils les élevoient dans une vie dure et laborieuse, afin de les rendre plus robustes et plus capables de soutenir les fatigues de la guerre.

Cette discipline domestique avoit son origine dans la pauvreté des premiers Romains: on fit ensuite une vertu d'un pur effet de la nécessité, et des hommes courageux regardèrent cette pauvreté égale entre tous les citoyens comme un

Dion. Halic. lib. II, pag. 98. Plut. in Rom.

moyen de conserver leur liberté plus entière. Chaque citoyen n'eut d'abord pour vivre que deux arpents de terre, comme nous l'avons dit : Rome étendit depuis peu-à-peu son territoire par les conquêtes qu'elle fit sur ses voisins. On vendoit ordinairement une moitié de ces terres conquises pour indemniser l'état des frais de la guerre, et l'autre moitié se réunissoit au domaine public, que l'on donnoit ensuite ou gratuitement, ou sous un cens modique et à rente, aux plus pauvres citoyens, pour les aider à subsister : tel étoit l'ancien usage de Rome sous les rois, c'est-à-dire, pendant plus de deux cents ans. Mais depuis l'extinction de la royauté, les nobles et les patriciens, qui se regardoient comme les seuls souverains de la république, s'approprièrent sous différents prétextes la meilleure partie de ces terres conquises qui étoient dans leur voisinage, et à leur bienséance; et ils étendoient insensiblement leur domaine aux dépens de celui du public: ou bien, sous des noms empruntés, ils se faisoient adjuger à vil prix les différentes portions qui étoient destinées pour la subsistance des plus pauvres citoyens. Ils les confondoient ensuite dans leurs propres terres, et quelques années de possession, avec un grand crédit, couvroient ces usurpations. L'état y perdoit une partie de son domaine; et le soldat,

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