Imágenes de páginas
PDF
EPUB

la tonsure sa famille y consentit, présumant que ce n'étoit qu'une fantaisie de jeune homme qui n'auroit pas de suites; mais, sa retraite au séminaire étant finie, il disparut subitement. On le chercha pendant six mois, et l'on découvrit enfin qu'il étoit dans un couvent de capucins à Argentan. Son père fit des efforts inutiles pour le détourner d'une résolution si étrange. Le frère Zacharie (c'étoit le nom de religion de Vertot) persista, et fit profession. Il seroit devenu un des plus beaux ornements de cet ordre sans un accident qui le mit en danger de la vie.

Pendant le cours de ses études à Rouen, Vertot

avoit été retenu près d'un an au lit pour un abcès à la jambe. Ce mal étoit si considérable qu'on avoit fait venir de Paris des chirurgiens pour le traiter. L'os se trouva carié; la cure fut longue et difficile, et la cicatrice qui resta étoit si étendue et si profonde que l'on convint de la tenir toujours couverte et entourée d'un bandage. Rien assurément de plus opposé à cette sage précaution que de se soumettre à avoir toute sa vie les jambes nues sous une robe de laine rude et grossière telle que la portoient les religieux de cette observance. Aussi peu de temps après la profession de Vertot, son abcès se renouvela, et fut jugé presque incurable on le transporta à Fécamp, dans le voisinage de sa famille. Le mal y augmenta encore. Les parents demandèrent enfin à se charger du malade : les soins qu'ils en prirent ranimèrent leur tendresse; il résolurent de l'arracher au danger qui le menaçoit. Ils sollicitèrent et obtinrent des brefs du pape, le consentement des supérieurs,

: :

et, le plus difficile de tous, celui du jeune profès, pour le faire passer sous une règle plus douce. Vertot choisit celle des prémontrés. Il fit sa seconde profession religieuse à l'âge de vingt-deux ans, après en avoir passé quatre chez les capucins.

Son esprit et ses talents ne s'étoient point affoiblis malgré la maladie et les austérités. L'abbé de Colbert, général des prémontrés, entendit parler si avantageusement du jeune religieux qu'il le fit venir dans le chef-lieu de l'ordre pour y enseigner la philosophie. L'abbé de Colbert ne tarda pas à la chérir; il lui témoigna son estime en le nommant son secrétaire, et en lui conférant le prieuré de Joyenval. Cette distinction causa d'autant plus de jalousie que, suivant les règles de la discipline ecclésiastique, des voeux faits dans un premier ordre rendoient incapable de posséder des bénéfices ou des dignités dans celui où l'on étoit transféré. On résolut, dans un chapitre provincial, de se pourvoir contre les brefs que l'abbé de Colbert avoit obtenus pour faire réhabiliter Vertot dans ses droits. Ils furent attaqués, et ils auroient été déclarés nuls sans l'autorité de Louis XIV, qui expédia des lettres-patentes pour l'exécution et l'enregistrement de ces brefs. Cette formalité assuroit à Vertot son état, mais non sa tranquillité : il abandonna le prieuré de Joyenval, la maison de Prémontré, et se réduisit à la cure de Croissy-la-Garenne, près de la machine de Marly, qui dépendoit de l'ordre. C'est là que, conduisant des ouailles d'une espèce toute différente, et plus docile que celle des moines, il sut allier aux devoirs.

a.

d'un pasteur zélé l'étude des belles lettres et celle de l'histoire, que ses amis' lui avoient particulièrement conseillée comme la plus conforme à son génie, et le genre dans lequel il réussiroit le mieux par la grande facilité à s'exprimer, et le don de narrer, qu'il possédoit à un degré éminent

Ce fut là qu'il composa son premier ouvrage, l'Histoire de la conjuration de Portugal, qu'il fit imprimer en 1689, et dont il a donné depuis plusieurs éditions augmentées sous le titre général de Révolutions.

Elle eut un cours prodigieux non-seulement parce qu'elle est bien écrite, mais encore parce que le sujet, grand par lui-même, le paroissoit bien davantage dans le rapport qu'on imaginoit qu'il pourroit avoir un jour avec ce qui se passoit alors en Angleterre. Cependant l'auteur, qui auroit pu s'en faire. un mérite, avouoit de bonne foi qu'il n'y avoit jamais songé, et, qu'après le plaisir d'écrire, si quelque chose l'occupoit encore, c'étoit le desir de retourner dans sa province, dont il n'étoit jamais sorti qu'à regret. Il en trouva bientôt l'occasion: il permuta la cure de Croissy avec une autre du pays de Caux, et, par surcroît de bonheur, il obtint ensuite des dispenses pour passer de cette deuxième cure à une troisième, qui étoit séculière, d'un gros revenu, et aux portes de Rouen.

Plus en état d'avoir des livres, il en eut beaucoup, et il en fit un bon usage. Il écrivit l'Histoire des révolutions de Suède, qu'il fit paroître en 1695, et qui

1

Entre autre l'abbé de Saint-Pierre et Fontenelle.

fut reçue avec tant d'applaudissements que l'on en fit quatre à cinq éditions de suite. Elle fut aussi traduite en diverses langues, et l'ouvrage fut si estimé à Stockholm même qu'on prétend que l'envoyé qui étoit sur le point de passer en France fut chargé par ses instructions de faire connoissance avec l'auteur, ét de l'engager, par un présent de deux mille écus, à entreprendre une histoire générale de la Suède. On ajoute que cet envoyé, qui croyoit trouver Vertot dans les meilleures compagnies de Paris, et répandu dans le plus grand monde, surpris de ne le voir nulle part, s'en étoit informé, et qu'ayant appris que ce n'étoit qu'un curé de Normandie, il avoit rendu compte de sa commission d'une manière qui fit échouer le projet.

Quoi qu'il en soit ce curé de Normandie acquéroit insensiblement la réputation d'un excellent historien, d'un écrivain du premier ordre. Le P. Bouhours assuroit qu'il n'avoit rien vu en notre langue qui, pour le style, fût au-dessus des Révolutions de Suède et de Portugal; et Bossuet, plus capable encore d'en juger, dit un jour au cardinal de Bouillon que «< c'étoit une plume taillée pour la vie de << Turenne ». Enfin Louis XIV augmenta l'académie des inscriptions et belles lettres. Ce monarque, à qui nul genre de mérite n'échappoit, nomma de son propre mouvement l'abbé de Vertot à une place d'académicien associé. M. de Pontchartrain lui annonça lui-même cette nomination, qui le toucha beaucoup, mais qui le jeta dans un extrême embarras. Il falloit venir à Paris, quitter par conséquent

sa cure, qui lui valoit 3,000 livres de rentes, le seul bien qu'il eût, et qu'il ne pouvoit encore résigner sous pension, parce qu'il lui manquoit deux années de résidence et de service. Dans cette perplexité il répondit au ministre dans les termes généraux de la reconnoissance pour l'honneur qu'on lui faisoit, et du plus grand empressement à le justifier par ses travaux. Quelque temps après il écrivit à un de ses amis, qu'il savoit être en liaison avec le comte de Pontchartrain, une lettre dans laquelle, après avoir exposé sa situation, c'est-à-dire ses peines, il proposoit d'envoyer régulièrement tous les six mois à l'académie des ouvrages qui vaudroient, disoit-il, mieux que lui, en attendant qu'il pût y réparer par son assiduité des absences involontaires. A la suite de ce détail il traçoit le plan d'une nouvelle histoire de France accompagnée de médailles sur les principaux événements de chaque règne; et la conclusion étoit que, pour se dévouer entièrement aux lettres, il ne cherchoit qu'à s'assurer le strict nécessaire avant que de fonder son opulence sur ce qu'il pourroit espérer de la libéralité du prince.

Ces représentations produisirent leur effet. Vertot fut attendu; il tint parole, et les exercices de l'académie se ressentirent aussitôt de sa présence. Il les tourna le plus souvent sur des points d'histoire moderne qu'il avoit fort approfondie; de celle de France surtout, dont il étoit également instruit et jaloux..

Nous ne nous engagerons pas dans l'énumération des ouvrages qu'il a donnés à l'académie depuis 1703.

« AnteriorContinuar »