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m'a fait naître l'idée de ce Recueil : ce grand homme est regardé depuis plufieurs fiécles, comme le Peintre le plus étendu que la Nature ait produit ; cette justice lui a été généralement rendue, mais, felon moi, d'une façon trop vague ; il m'a paru qu'elle n'étoit fondée que fur la chaleur, la jufteffe & la précision de fes détails, toujours convenables aux caracteres qu'il a entrepris de traiter, & qu'il a fi parfaitement foutenus ; mais on n'a point encore confidéré ce grand génie, uniquement du côté de la Peinture. Je fçais que fa réputation n'a pas befoin des preuves de fupériorité que lui donnent les sujets convenables aux Artistes ; non-feulement il en abonde, mais fes grandes images, fes fortes idées, & l'action continuelle de fon Récit, doivent échauffer fans ceffe le génie de la Peinture, & lui donner chaque jour de nou velles lumieres. J'ai été féduit, je l'a

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voue, par l'idée de préfenter le mérite d'Homere d'un côté par lequel ce Poëte n'avoit point encore été regardé, & qui me ferviroit en même tems à rendre un fervice à la Peinture pour reconnoître les plaifirs qu'elle m'a procurés.

Avant Raphaël, tous les Peintres entraînés par le goût de leur fiècle, ne furent occupés qu'à l'exécution des Ta bleaux, faits pour nourrir la piété ; ils n'avoient pas encore imaginé qu'on pouvoit, avec le pinceau, parler à l'efprit, & le remplir d'idées agréables & pathétiques, ainfi que les Poëtes & les Hiftoriens l'avoient fait avec la plume.

Raphaël né fous une étoile plus heureufe, eut le bonheur de vivre avec des gens d'efprit, qui faifoient revivre le bon goût à la Cour de Leon X. il les écoutai & profitant de leurs avis, il puifa dans la Poëfie les images riantes dont il fit le fujet d'une infinité de fes Tableaux, Y ajoûtant

ajoûtant de nouvelles graces qu'un génie délicat & fin lui sçut inspirer. C'est ainsi qu'il forma, fur la defcription d'Apulée, cette magnifique fuite de deffeins, qui renferment le Roman entier de Pfiché; fujets qui lui parurent fi convenables à la Peinture, qu'il les répéta dans la galerie de Chigi * qu'on lui donna à peindre, Il est certain qu'il auroit conduit ce genre d'idées plus loin, s'il eût été le maître de fuivre son panchant dans le choix des fujets qu'il avoit à traiter; on peut mê me être perfuadé qu'il auroit le plus fou vent préféré les compofitions voluptueufes, plus convenables à fon caractere porté à la galanterie ; né avec les talens qui font les grands Poëtes, ce feroit lui faire injustice que de penfer qu'ayant lû Homere & Virgile, il n'eût pas été touché du nombre & de la grandeur des événemens que ces merveilleux Poëtes four

* Ou dans la Loge, comme les Italiens nommoient alors des efpeces de Portiques ou Galeries ouvertes.

nissent aux Peintres il est à présumer qu'il trouva la matiere trop auftere pour

Jui.

Il l'abandonna à Jules Romain, fon disciple chéri, dont la veine fougueufe parcourut avec avidité ces grands Poëmes de l'antiquité, & s'enrichit des idées pittorefques dont elle les trouva semés prefqu'à chaque pas. On ne connoît cependant aucun Tableau où il les ait tranfportées; content de travailler pour

fa

propre fatisfaction, il se borna à en faire des Deffeins, dont quelques-uns ont été gravés : tels furent, par rapport à Homere, la mort de Patrocle, & le corps de ce Heros retiré de la, mêlée, & un troifieme fujet représentant le cheval qui devoit causer la ruine de Troye. Virgile lui a fourni le fujet de la mort du Laocoon, & une tempête dans laquelle il a donné l'essor à son imagination. Voulant faire fentir tout le defordre d'une Mer

irritée, il représente les chevaux de Neptune emportés & ne connoiffant plus de frein; idée poétique qui appartient au Peintre, & qui fait honneur à fon génie, en même tems qu'on est forcé d'admirer les recherches qu'il a faites dans les Monumens antiques, pour la représentation variée des proues & des poupes des Vaiffeaux qu'il a fait entrer dans fa compofition, & qui toutes font de la plus grande richeffe. Je connois encore une tenture de Tapifferie, exécutée sur le Deffein de ce même Jules-Romain; elle représente différens inftans de l'Eneïde, principalement liés à l'Hiftoire de Didon; & ces fujets font exécutés avec tout le grand dont la Peinture, fecondée par le génie, est susceptible. Des Elèves instruits par un tel Maître, durent fentir comme lui les beautés d'Homere ; & le Primatice, qu'une grande conformité de sentimens lui rendoit fort cher, fut un de

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