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tacles & par la privation, redoublé depuis par la poffeffion, étoit plus fort que jamais; il réuniffoit la vivacité de la tendreffe & la douceur folide de l'amitié. Anne de Bretagne méritoit ces fentimens, non feulement par les fiens, mais encore par toutes les vertus d'une ame forte, élevée, bienfaifante, dont le caractère exprimé fur faphyfionomie, faifoit dire: qu'en la voyant on croyoit voir la Reine du Monde (1).

Cette Princeffe diftinguoit toujours dans fon cœur les droits de fon pays & ceux de fon époux. Preffée par les armes de Charles VIII. fatiguée par les intrigues de fa propre Cour, effrayée de la confternation de fes Sujets, déterminée enfin par les remontrances généreufes de ce Duc d'Orléans qu'elle aimoit, qui l'aimoit &

(1) Qui voudroit, dit l'Auteur de l'Hiftoire du Chevalier Bayard, fes vertus ( d'Anne de Bretagne) fa vie deferipre, comme elle a mérité, il fauldroit que Dien feit refufeiter Ciceron pour le latin, & Maif tre Jean de Meung pour le françois ; car les Modernes my Sauroient atteindra.

cette Hift.

qui avoit tant fouffert pour elle, elle D'Argentré, s'étoit facrifiée, en gémiffant, pour Hift. de Bre: tagne, 1. 12. le falut de la Bretagne; elle avoit D. Lobivoulu du moins lui rendre ce facri- neau, Hift. de Bretag. 1. fice utile: en époufant Charles VIII, 21. 22. elle avoit fait conferver aux Bre-Preuves de tons leurs priviléges; mais fans la confulter on avoit ftipulé dans le contrat de mariage, i°. que fi le Roi mouroit fans enfans, Anne seroit obligée d'époufer fon Succeffeur; 2°. que fi elle mouroit avant lui, foit qu'elle eût des enfans ou qu'elle n'en eût pas, la Bretagne refferoit réunie à la France. De ces deux articles, le premier ne put lui déplaire, il lui laiffoit l'espérance, quoiqu'éloignée & incertaine,d'époufer le Duc d'Orléans; le fecond la révoltoit; fon zèle pour les intérêts bien ou mal entendus de la Bretagne, lui faifoit voir avec indignation ce Duché réduit en Province ordinaire de l'Empire François ; elle vouloit lui affurer un Duc particulier; ce defir étoit dominant dans fon ame; auffi en époufant Louis

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XII. fe fervit-elle de tout fon pouvoir fur lui pour le faire foufcrire aux deux conditions fuivantes; 1°. que fi elle mouroit fans enfans, le Duché retourneroit aux héritiers de fa Maifon; 2°. que fi elle avoit plufieurs enfans, le puîné auroit le Duché de Bretagne. C'étoit faire perdre à la France tout le fruit de les travaux ; c'étoit lui préparer pour l'avenir les mêmes embarras, les mêmes troubles dont on avoit voulu couper la racine; c'étoit enfin procurer à la Bretagne une indépendance orageufe, qui l'eût toujours privée de la paix, le plus grand des biens politiques.

Tels étoient les vûes, les fentimens, le caractère de la Reine. Son empire étoit abfolu & univerfel; elle gouvernoit le Roi, qui lui accordoit tout, en difant: il faut fouffrir beau coup d'une femme, quand elle aime fon Hilarion de honneur & fon mari; elle enchaînoit Cofte, Vie la Cour, elle étoit refpectée du peu luftres, tom. ple: on aimoit en elle jufqu'à la fier té qui fembloit ennoblir toutes fer

des Dames Il

I. p. 6.

A. Ferron,

& autres,

vertus.

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La Comteffe d'Angoulême paroît à la Cour & la partage. Peu foigneufe de plaire à la Reine, auffi fière, moins vertueufe, plus adroite; jeune, belle, elle lui déplût bientôt, leur inimitié fut éclatante. En vain le Roi étoit fans ceffe occupé à les réconcilier; leur antipathie, fupérieure à fes efforts, rompoit toujours les nœuds trop foibles dont il les uniffoit; le rang de la Comtesse d'Angoulême, veuve du Coufin germain du Roi, mère de l'héritier préfomptif de la Couronne, lui donnoit un crédit redoutable à sa rivale. Tous ceux qui étoient moins frappés du préfent qu'inquiets fur l'avenir, tous les mécontens, qui font toujours en grand nombre fous le regne le plus heureux, groffiffoient & fortifioient fon parti; la Reine chercha des prétextes pour la renvoyer en Savoye, mais le Roi n'y voulut jamais confentir.

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On traitoit depuis long-temps à la Cour des plus grands intérêts; Louis XII. & Anne de Bretagne n'avoient

plus d'enfans mâles, mais il leur reftoit deux filles, Claude & Renée. La Reine prétendoit difpofer de leur établiffement, fur-tout de celui de l'aînée, parce qu'elle avoit une (1) Souveraineté importante à lui donner. Tous les vœux des François étoient pour la réunion de la Bretagne à la Couronne, & pour le mariage de Madame Claude avec le jeune Comte d'Angoulême ; mais sa mère étoit trop odieuse à la Reine, & la Reine étoit trop fidéle au projet de donner un Duc particulier à la Bretagne. D'un autre côté, la Comteffe d'Angoulême, qui fentoit de quelle importance étoit ce mariage pour fon fils, en faifoit l'objet de

(1) Ces titres de Souverain & de Souveraineté échappent quelquefois quand on parle des grands Vafiaux de la Couronne. Nous demandons qu'on les entende toujours dans le fens où les employe Beaumanoir. Cet Auteur dit que chacun des Barons, fi eft Souverain en fa Baronie, mais que le Roi eft Souverain far-deffus uus, fi n'eny a nul, sigrand deffous ly qui ne puift être trais en fa Cour pour défaute de droit ou de faux jugement, & pour tous les cas que touquent an Roi.

toutes

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