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Il naît enfin cet objet de nos plus ardents defirs; il annonce par fes cris fa débile existence: fes cris frappent, déchirent nos cœurs. Une tendre mere, affaiblie par les maux qu'elle vient de fouffrir & par ceux qu'elle fouffre encore, étendue fur un lit de douleurs, mais fenfible feulement à la joie, demande avec empreffement aux femmes qui l'environnent ce fruit fi cher de fes fouffrances, & porte fur lui des regards où fe peint bien plus vivement l'expreffion du plaifir, que celle des maux qu'elle a déja prefque oubliés.

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Livre-toi, fenfible mere, à cet amour fi doux. Prends garde d'oublier bientôt ce que tu dois à cet enfant, qui exige tous tes foins, qui a befoin de toute ta tendreffe. Tu l'aimes, parcequ'il te doit fa naiffance. Tu l'aimes plus encore que fon

pere ne le peut aimer, parcequ'il te

doit plus, parcequ'il ta coûté davantage, parceque tu l'as acheté par les plus cruelles douleurs. Craindrais-tu de fouffrir encore pour lui, de lui facrifier ta pareffe, tes aifes & de vains plaifirs.

Tu le vois aujourd'hui pour la premiere fois : ton œil avide le dévore, tes mains le careffent, ta bouche le couvre de baifers: vas-tu donc avoir le courage barbare de l'éloigner de tes yeux? Quand il était encore dans les ténebres, tes defirs l'appellaient à la lumiere : était-ce pour l'écarter auffitôt loin de toi ? Tu as enduré fans murmure la fatigue de le porter dans tes flancs, & tu renonces au plaifir de le foutenir fur ton fein! Tu Faimes, & tu cedes à une autre le doux tribut de fes premieres careffes, de fa premiere reconnaisfance! I ignorera long-temps que c'eft à toi qu'il doit la vie; mais il connaîtra bientôt que c'est à ane autre qu'il doit la nourriture : c'eft pour une autre que le fentiment de l'amour va commencer à germer dans fon cœur. Tu le reverras trop tard. Ton afpect étranger l'afpect étranger d'une mere!) ne lui inspirera que de l'éloigne→ ment, de l'effroi. Tu le verras, pour fuir tes carefles importunes, fe précipiter fur le fein qui l'alaite ; & ne répondre à Gvj

3.

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la voix de fa mere que par des cris aigus

interpretes de fa haine..

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l'ab

Par le temps feul, & fur-tout par fence d'une nourrice chérie, tu pourras obtenir enfin que le fruit de tes entrailles fupporte fans peine ta préfence: mais il n'oubliera pas facilement fa bienfaitrice; il ne contractera qu'avec peine une inclination nouvelle, & long-temps plus faible que la premiere. Tu gémiras long-temps de l'indifférence & même de l'horreur avec laquelle il recevra tes careffes, avant de pouvoir plier fon jeune cœur à l'ingratitude & à l'inconftance : car, en vain tu voudrais te le diffimuler; du moment où il commence à t'aimer, à perdre l'idée de fa nourrice, de ce moment même il commence à être léger & méconnaisfant.

Souvent, & j'en ai l'expérience, une mere croit enfin régner fans rivale fur le cœur de fon enfant, & y avoir fait naître une tendresse affermie par un temps allez long La nourrice reparaît, l'enfant la reconnaît à peine, ou même ne la reconnaît plus: il la fixe long-temps avec

des

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yeux incertains, femble étudier fes habitudes, écoute en filence une voix autrefois fi chere, raffemble des idées prefque effacées de fa faible mémoire & quitte enfin fa mere, où plutôt la fuit, pour voler dans les bras du premier objet de fon amour.

Que de femmes font fouvent punies avec autant de rigueur que de juftice, pour avoir refufé le lait à leur progéniture! Combien de fois cet aliment falutaire, aigri dans le fein d'une mere dénaturée, fermente dans toutes fes veines, fe tourne contre elle en poison, la fait périr dans les douleurs, ou lui laisse traîner une vie accablée de maux plus cruels que le trépas! fupplice affreux & long, préparé par la nature contre celles qui réfiftent à fes loix.

Peut-on même jamais lui défobéir, fans éprouver fa vengeance? Quel art téméraire ofe repouffer des flots de lait loin des canaux qui leur étaient destinés, & leur ouvrir une route qu'ils n'auraient jamais dû connaître? La fievre annonce

toujours la crife violente qu'occafionne ce combat intérieur; la malignité s'y joint quelquefois, & la mort fuit de près les premiers jours de l'enfantement.

Mais fi la mere court de grands périls en refufant à fon enfant la nourriture qu'elle lui doit, le nouveau-né, jetté fur le fein d'une nourrice étrangere, n'est pas expofé lui-même à de moindres dangers. C'eft feulement dans le fein de la mere qu'a été préparé l'aliment conve nable à l'enfant; aliment fans doute plus analogue qu'aucun autre à celui qui le foutenait, qui caufait fon accroiffement, avant qu'il vint à la lumiere; aliment rendu digeftible par les mêmes liqueurs, conduit dans le même eftomac, filtré dans les mêmes canaux. Un lait nouvellement formé, & léger encore, peut feul convenir à un eftomac novice. Un lait qui a plus de confiftance, tel que celui d'une nourrice qui a enfanté depuis plufieurs mois, doit le furcharger, y caufer des indigestions. D'ailleurs, le lait d'une femme qui vient d'enfanters purge Fen

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