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elle le pouvait fans retrancher de fes plaifirs.

On eft fouvent impitoyable par faiblesse. Eubule facrifierait fans peine à l'humanité fouffrante quelques caprices, quelques jouiffances, quelques objets de. luxe : mais s'il fait ce facrifice, fes amis, fes voifins, les inconnus, croiront qu'un revers de fortune l'a obligé de le faire.. Non, que l'indigent périffe, & que le riche n'ait pas la honte d'avoir retranché quelque chofe de fon fafte.

Un Anglais avait une grande fortune. & bornait fa dépenfe au plus fimple néceffaire. On l'accufait d'avarice, il le favait, & cette accufation téméraire ne pouvait ébranler fon courage. Les infortunés qu'il avait fecourus trahirent à fa mort fon fecret par leurs larmes : aux injuftes reproches, fuccéda l'admiration pour des vertus qu'il avait fi bien ca chées.

Qui ofera l'imiter? Pour fécher les pleurs de l'indigent, se réduira-t-on foi même à la condition.du

pauvre, tandis

qu'on prend tant de peine, qu'on s'expofe fouvent à tant de honte pour paraître riche, même lorfqu'on ne l'eft pas? Mais on exige moins de vous, Répandez feulement votre fuperflu dans le fein du malheureux. Du fuperflu! Eft-ce qu'on en a, eft-ce qu'on a même le néceffaire, quand on fe fait des befoins abfolus de toutes fes fantaisies & de toutes les fantaisies des autres ?

Avarice.

Le vice le plus oppofé à la bienfaifance; l'avarice, eft de toutes les paffions la plus abfurde elle fait le tourment des infenfes qui fe livrent à elle, pe cherche à polleder que pour s'interdire, n'amalle gue pour avoir la peine de garder, & ne paraît qu'environnée des noirs foucis. Quelle folie d'accumuler, pour n'en faire aucun usage, ce qui n'a de valeur que par l'ufage même; de s'attacher à la poffeffion d'un figne représentatif, fans vouloir jamais fe rien procurer de ce qu'il repréfente; d'embraffer toujours une image vaine, & de repouffer opiniâtrément la réalité!

Il eft dans la nature de chercher à étendre fes poffeffions, puifqu'il eft dans la nature de ne pas connaître le repos & d'éprouver toujours des defirs. Le barbare Nomade, dont toute la propriété ne confifte qu'en troupeaux, n'a que l'appétit d'un feul homme, & il aime à réu,

nir des troupeaux affez nombreux pour nourrir tout un peuple.

L'homme paffionné veut pofféder beaucoup pour fe procurer beaucoup de jouiffances; l'homme fans paflions jouit affez dès qu'il poffede.

Si l'avarice eft jamais pardonnable, c'est dans l'homme qui a paffé dans l'in digence la plus belle portion de fa vie, qui n'eft parvenu à s'affurer des reffources pour fa vieilleffe, qu'en s'impofant fans ceffe des privations dans l'âge des plaifirs. Il a craint trop long-temps le befoin pour ceffer enfin de le craindre; habitué à l'épargne, il épargnera toujours; aucun goût ne le maîtrifera, parcequ'il s'eft long-temps interdit tous les goûts; il ne defirera pas de jouiffances, lorfque tous fes fens affaiblis ne feront plus faits pour jouit ; & n'ayant fait toute fa vie qu'amaffer avec peine, il ne comprendra pas même qu'on puiffe donner ce qui a coûté fi cher.

L'avarice ne laiffe qu'une humeur moire, à la place de toutes les heureuses

affections de la nature. L'avare n'eft nit époux, ni pere, ni ami, ni citoyen, ni homme : il n'eft qu'avare.

Il vole fes concitoyens en intercep tant, autant qu'il eft en lui, la circulation des efpeces; il craint d'accorder aux ouvriers le jufte falaire qu'ils ont droit d'attendre; il fait languir fa femme dans le chagrin des privations au milieu des richesses, prive fes enfants de l'édu cation, leur refufe dans un âge plus avancé les moyens de fe procurer un état, abandonne aux douleurs l'infortuné qui pourrait être foulagé par de médiocres fecours, & fe refufe à lui-même ce qu'exige la nature.

Les plaisirs ne peuvent l'émouvoir; les larmes ne peuvent l'attendrir. Chez lui tous les fens font anéantis; fes yeux feuls ont encore une jouiffance : la vue de l'or.

Je me trompe; il n'a pas même cette jouiflance. En couvant fon or de fes yeux, il n'éprouve que des craintes : celle de ne pouvoir augmenter la maffe

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