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Les Hommes font-ils naturellement méchants?

La pratique de nos devoirs nous ferait fi avantageufe! Qui peut donc nous en éloigner? Faut-il croire que l'homme foit méchant de fa nature?

On a répondu qu'il l'était; on a calomnié l'humanité.

Je ne dirai

pas qu'il foit naturellement bon. Puifqu'il naît fans idées, il naît indifférent au bien & au mal. La fituation dans laquelle il fe trouvera placé, sa maniere d'envisager fes intérêts, décideront de fes penchants & de fes actions: agneau, s'il doit brouter l'herbe; tigre,, s'il doit fe nourrir de carnage,

Dans fon premier état, & avant qu'il fe fût lié par les obligations fociales, il ne penfait qu'à fatisfaire aux befoins naturels. Toujours guidé par la nature, il n'entrait dans fes actions aucune malignité. Quand il éprouvait le fentiment. de la faim, il cherchait une proie, & la.

prenait indifféremment où il la trouvait, fur un arbre, dans les champs, peut-être même entre les mains de son semblable. Il ne voyait dans cet acte qu'un moyen de fatisfaire le befoin dont il était preffé; fes idées n'allaient point au delà. Il fentait, & ne raisonnait point. Le fentiment lui ordonnait de fe nourrir; le raisonnement ne lui avait point appris à refpecter la propriété d'autrui. Il ne connaissait que lui feul dans la nature, parcequ'il n'avait que la confcience de fes propres fenfations. Tout ce qui était hors de luimême ne l'affectait que relativement à fes befoins. C'est ainfi qu'on voit des animaux affamés arracher à d'autres leur proie, par le seul instinct qui les à fe nourrir.

porte

Dans l'état actuel, l'homme qui a plus 'd'idées, plus de connaiffances, a malheureufement auffi plus de besoins : il a faim d'un plus grand nombre d'objets. II cherche donc plus fouvent à dépouiller fon femblable. C'eft le même fentiment, mais plus fouvent réveillé.

L'homme en acquérant des idées, en a acquis beaucoup de fauffes. Il s'eft accoutumé à regarder comme néceffaires bien des chofes qui né compofent pas le nécessaire : il fait du mal aux autres pour fe les procurer.

Le préjugé fait des méchants. On fe rend criminel, parcequ'il érige des crimes funeftes en vertus. La même énergie qui fait un grand homme, fait un grand fcélérat du mortel qu'égare le préjugé. Que de bien certains princes auraient fait à la terre, fi on ne leur eût pas perfuadé que la gloire & la vertu confiftent à la dévaster!

Le préjugé a fait à certains hommes une honte d'un travail qu'ils appellent mercénaire. Ils ont nui à leurs femblables, parcequ'ils auraient rougi de leur devoir la fubfiftance en les fervant par leurs travaux.

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intérêt, par colere

ou par vengeance.

L'homme dans fon état naturel con

naiffait peu la vengeance, puifqu'il n'a

vait pas toutes les idées que nous nous fommes formées de l'infulte. D'ailleurs la vengeance fuppofe un fentiment profond d'une injure paffée, & nous avons vu que notre fauvage avait bien mémoire.

peu

de

L'attaquait-on, pour le priver de fa proie? il fe défendait. Le combat fini, la querelle était oubliée.

Il était capable de colere, comme la plupart des autres animaux. Mais c'était une affection paffigere. Elle ne peut conftituer la méchanceté, qui fuppofe une 'habitude conftante.

Il ne reste plus que l'intérêt. Mais ôtez à l'homme tous les faux intérêts qu'il s'eft fabriqués, vous lui ôtez une grande partie de fa malice. Il l'exerce fréquemment, parcequ'il a un grand nombre de defirs qui combattent avec ceux de fes compagnons. Mais ces defirs font le plus fouvent excités en lui par toutes les fuperfluités qui l'environnent dans l'état focial.

Il est vrai que fouvent des peuplades

:

de fauvages fe font entr'elles de cruelles guerres mais elles y font forcées par le premier des befoins; car elles ne peuvent être voisines fans fe nuire, puisque l'une ne peut aller à la chaffe fans détruire la fubfiftance de l'autre.

-Les hommes puiffants ont été plus fouvent que les autres accufés de méchanceté. C'eft que, leurs defirs fatisfaits leur infpirant des defirs nouveaux, les intérêts fe font multipliés pour eux : c'est que leur puiffance ne leur permet pás de confentir à des privations. Tout ce qu'ils fouhaitent doit leur appartenir : la juf tice n'eft pas pour eux un obftacle, parcequ'ils ont la force: ils entendent rarement la voix de la vérité, parcequ'ils aiment mieux infpirer de la crainte que de la confiance: ils ne réfléchiffent ja mais, parcequ'ils jouiffent toujours : enfin ennemis du grand nombre, le grand nombre trouve fon intérêt à leur nuire. Souvent le tyran fanguinaire n'a voulu que fe venger ou fe défendre.

On n'a guere de defirs violents, fans

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