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utilité. Ainfi il aura intérêt d'affecter de la puiffance, de la grandeur, des richeffes, du mérite; & il en affectera beau coup plus qu'il n'en poffede.

Comme il s'aime plus que les autres, il voudra avoir, plus qu'aucun autre, des qualités ou des avantages qui peuvent être utiles ou agréables. Il ne faurait ignorer long-temps que les avanta➡ ges qu'il poffede, ou qu'il croit pofféder, ne font pas le partage de tous ainfi il s'eftimera plus que bien d'autres.

S'il naît fous un climat qui exige peu de lui, il ne fe forcera point lui-même à des recherches que ne lui impofe pas la néceffité. Il aura moins d'activité, de goût, d'induftrie : il aura moins de ces paffions qui font inventer, qui perfectionnent les arts agréables & utiles, qui rendent capables d'éclairer les hommes.. Il aimera mieux dominer fur eux, & lespaffions qui feront en lui plus exaltées, feront l'ambition & l'amour.

S'il eft né fur une terre qui fe refuse opiniâtrément à fes efforts, fi la nature

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ingrate ne lui accorde qu'à regret une miférable fubfiftance, occupé fans ceffe à lutter contre elle, il ne pourra fe livrer à d'autres travaux. Ainfi la poéfie, les belles-lettres, les arts d'agrément & de commodité, la philofophie, ne fleuriront jamais parmi les habitants de la Lapponie, ni chez le ftupide Samoïede.

Mais fous des climats tempérés, l'hom me eft forcé à un travail prefque toujours récompenfé par la nature : elle lui fait acheter fes bienfaits, mais elle manque rarement à le payer de fes fatigues, & les tréfors de la terre font le prix de fes fueurs. C'est là que l'action, une fois imprimée à l'homme par la néceffité, ne ceffera pas quand la néceffité fera fatisfaite; c'est là qu'il s'élevera, en quelque forte, au-deffus de lui-même, & qu'il acquerra une énergie productive, à làquelle ne s'éleveront jamais les nations auxquelles il porte envie, ni celles dont il plaint la deftinée.

Par la même raifon on verra par-tour que ce font en général les hommes d'une

condition moyenne qui fe diftingueront le plus par les talents.

Ainfi fe réfout ce, problême pourquoi les peuples plus voifins du foleil n'ont-ils point ce génie qui diftingue les nations de l'Europe? C'eft qu'ils com: mencent par avoir moins de befoins.

Nous fommes paresseux : la néceffité nous imprime un mouvement qui enfuite ne s'arrête plus. Si elle exige peu de l'homme, il reste en repos: fi elle exige toujours', il ne se meut que pour elle: fi elle cesse d'exiger, il continue de se mouvoir parceque l'inaction eft devenue. un état pénible pour lui.

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LES ftoïciens voulaient que toutes les paffions fuffent vicieufes; que ce qui ferait louable, infpiré par la froide raifon, devînt condamnable dès qu'il eft: infpiré par la paffion. Ce n'était pas con.. naître la nature. Si l'on veut que les actions utiles, qui ont mérité le nom de: vertueuses, foient produites, il ne faut pas détruire l'agent qui les produit.....

L'auteur de notre être nous a donné les paffions comme des refforts néceffaires à la partie mécanique de nous-mêmes. Il nous les a données en même temps: que la raifon, afin que celle-ci tempérât nos mouvements aveugles, tandis que celles-là nous feraient agir. La raifon feule refterait inactive; les paffions feu→ les auraient des mouvements trop impetueux, & ne tarderaient pas à nous détruire. Il en eft comme de tous les bienfaits du ciel, qui nous ont été départis pour en ufer & non pour en abuser..

L'appétit des aliments eft une paffion elle eft utile, puifque, fans elle, nous négligerions de nous nourrir. Si l'auteur de la nature a répandu dans les substances qu'il a destinées à réparer nos pertes, tous ces fels, dont les pointes différemment conformées nous font éprouver des fenfations diverfes; s'il a tapiffé notre langue de mamelons nerveux fi fenfibles aux picotements fi agréablement, variés des mets: il n'a pas voulu que cet admirable appareil de l'organe du goût ne nous fît éprouver aucun plaifir; il n'a pas ordonné que nous fuffions femblables à l'autruche ftupide, qui englou tit indifféremment & le fucre & le fer. !

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Mais cet appétit falutaire, cette douce fenfation, bienfait de la nature, nous con duit aisément à la gourmandise, à l'a mour des liqueurs fortes; vices funeftes. encore plus meurtriers que le jeûne rigoureux. Ils privent l'homme de ses plus heureufes facultés, le transformeur.ens une lourde maffe, auffi dégoûtante qu'ist nactive, appefantiffent fa raifon, éner

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