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tions déréglées, elles font plus fortes que nous, & nous entraînent. Mais elles fefont faibles contre l'homme qui aura acquis une heureuse pratique de veiller fur lui-même. L'habitude n'ôte rien du mé rite des bonnes actions, ni de la malignité des mauvaises.De bonnes habitudes font l'homme vertueux : des habitudes condamnables font l'homme corrompu.

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Compaffion.

LES ftoïciens ne fe font pas contentés de condamner celles des paffions qui fe manifestent par le défordre de nos fens, & ne nous flattent trop fouvent que pour nous perdre; ils ont profcrit jufqu'à la compaffion, ce toucher de l'ame fidélicat, fi fenfible, que la nature nous a donné pour établir, malgré les emportements des affections les plus impétueufes, quelque différence entre nous & la bête féroce. Ces orgueilleux raifonneurs voulaient que l'homme fût impaffible commė les Dieux, & continuât de montrer une tranquillité toujours égale, même à la vue de ses semblables plongés dans la douleur.

Par quel abus de la raison condamnaient-ils une paffion toujours aimable & douce, feule toujours féconde en actes bienfaifants! Quelle était leur inconféquence lorfque, réprouvant l'heureux fentiment de la pitié, ils nous exhor

taient cependant à prêter de généreux fecours aux malheureux; lorfqu'ils nous ordonnaient de les aider, en nous défen dant de partager leurs peines, d'y compatir, d'en être touchés! Aveugles qu'ils étaient de détruire la caufe en voulant conferver l'effet, de tendre à la perfection de l'œuvre en brifant les inftruments propres à opérer! Dangereux contemplatifs, qui, en nous ôtant un mouvement vif & précieux qui nous porte au bien, ne s'appercevaient pas que c'était nous rendre bien tiedes à fecourir l'infortuné, quand la froide raison nous exciterait feule à lui tendre les bras! Philofophes trompés, qui ofaient s'élever contre les faintes loix de la nature, ou plutôt dogmatiftes dangereux en effet, s'il ne leur eût pas été plus difficile d'endurcir leurs cœurs que d'égarer leurs efprits!

La nature a voulu que la douleur des autres nous caufât de la douleur. Ce n'eft que par un travail pénible & pat un long exercice de la dureté qu'on par

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vient à fe dépraver affez pour devenir peu près impitoyable. Encore le plus affreux fcélérat, le plus cruel affassin fent-il quelquefois qu'il eft homme en' éprouvant la douce impreffion de la pitié: & fi la force de l'habitude le replonge dans le crime, le plaifir que lui a procuré l'exercice momentané de la vertu, lui fait reconnaître qu'il a perdu le bonheur & le punit de fes coupables penchants.

La compaffion contribue pour quelque chofe à compofer les plus aimables affections de nos ames. L'amour, lorfqu'il n'eft point un fentiment excité par les befoins phyfiques, eft une forte de compaffion que nous inspirent les pérfonnes à qui l'habitude nous a liés, ou vers lefquelles un extérieur doux & touchant nous entraîne. C'eft la même dilatation de cœur que nous fait éprouver la pitié. Auffi la force, la puiffance peuvent nous infpirer l'eftime, l'admiration, le refpect: c'est la faibleffe fur-tout qui infpire l'amour.

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La tendreffe paternelle eft, à beaucoup d'égards, une vive compaffion pour des êtres qui nous doivent l'exiftence, à qui nous avons pris l'habitude de donher des foins, & qui nous font craindre pour eux tout ce qui pourrait triftement les affecter. Nous fouffrons de toutes leurs peines, nous jouiffons de tous leurs plaifirs, nous nous condamnons à mille privations, à mille tourments, pour éloigner d'eux la douleur.

Ne reconnaît-on pas le caractère de la compaffion dans l'amour filial? nous interdit tout ce qui peut déplaire aux auteurs de nos jours, il nous fait un de voir de refter foumis à leurs volontés, de leur rendre les plus tendres foins, de facrifier nos plus belles années à foulager leur vieilleffe, pour ne pas affliger leurs

cœurs.

Je vois dans la reconnaissance un mouvement de compaffion qui nous inspire de complaire à ceux qui nous ont obligés, afin d'épargner des fentiments douloureux aux perfonnes bienfaifantes

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