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fi l'on fe rend compte à foi-même de la grandeur de fon ame; comment ne laiffera-t-on rien échapper au-dehors de cette fierté noble, qui n'eft point dans les mœurs actuelles, & qui eft bien éloignée de la petite vanité, de la fotte oftentation & de l'orgueil infultant, fi familiers à nos contemporains?

Ce n'eft pas que la fermeté du fage doive être repouffante. Ne foyez pas le flatteur du vice; mais, févere pour vous feul, fachez par votre indulgence rendre la fageffe aimable à ceux-même qu'elle effraie. Si vous profeffez le mépris de votre fiecle, votre front chagrin, vos austeres reproches, votre dure mifanthropie n'exciteront que la haine, & vous rendrez inutile l'exemple de vos vertus. Complaire aux hommes eft fouvent une baffelfe; les fupporter eft un devoir; leur plaire eft une néceffité pour qui veut les rendre meilleurs. Pour les attirer dans le chemin qu'ils redoutent, arrachez-en les épines, & femez-y des fleurs,

Courage dans le malheur.

L'AME eft tellement dépendante du corps, fes affections font tellement liées à l'état des parties organiques, qu'il eft prefque impoffible que, renfermée dans un corps amolli, elle fache lutter contre les peines.

On eft fouvent plus malheureux par la crainte des maux, que par leur préfence. D'abord le changement de fituation paraît bien dur infenfiblement nous croyons n'avoir pas changé. Des reffources qu'on n'attendait pas, fe font connaître. On croyait ne pouvoir vivre dans un tel état, & l'on vit comme auparavant. On jouit même : car toute maniere d'exister a fes jouiffances. Il n'eft point d'hommes abfolument heureux : il est bien moins d'hommes abfolument malheureux qu'on ne pense.

J'ai connu des hommes dans l'abon

dance, & je les entendais fe plaindre :

je les ai revus pauvres, & j'ai vu leurs levres fourire.

Dans quelque état que ce foit, il eft des moments pour les ris & pour les larmes.

Si l'on s'eft rendu digne de fa propre eftime; fi l'on fe croit au-deffus de toutes les fuperfluités dont on eft environné; fi l'on vaut par foi-même & non par fes richesses: on peut braver les coups de la fortune, & rire d'elle quand elle croit nous dépouiller.

Courage dans les douleurs.

Il faut convenir qu'on n'est point heureux, quand on éprouve des douleurs aiguës, & le ftoïcien qui ofera dire à l'infortuné qui gémit dans les accès de la goutte, que la douleur n'eft point un mal, n'en fera pas tranquillement écouté. Charron aura beau foutenir que c'eft le corps qui fouffre, que ce n'est pas nous qui fommes offenfés; que le corps n'eft que l'inftrument de l'efprit, & qu'il ne faut lui fervir; que, l'efprit s'afflige de ce qui arrive au corps, c'eft l'efprit qui fert au corps; que c'eft imiter la délicateffe de celui qui crierait, parcequ'on lui aurait gâté fa robe, & que le corps n'eft qu'une robe : toutes ces raisons ne feraient qu'aigrir le malheureux, qui fe fent déchiré des douleurs cruelles

pas

par

fe

& qui ne peut diffimuler que fon vêtement tient de fi près à lui-même. C'eft la robe d'Her

cule

fi

cule qu'on ne peut déchirer, fans fe faire d'énormes bleffures.

Une morale fi fublime, fi détachée du phyfique, devient une plaifanterie : car il faut parler à l'homme comme à un être fenfible, & convenir que fon corps eft quelque chofe, puifque c'est par ce corps qu'il fouffre & qu'il jouit.

On ne peut donc fe mentir à foimême dans les douleurs, au point de fe nier que l'on fouffre: mais il faut s'armer de patience, parcequé l'impatience est un mal de plus; il faut fe foumettre, puifque la révolte eft inutile, & penfer que les biens qui nous ont été difpenfés, doivent être achetés par des maux. Telle eft notre nature; elle ne fera point changée. :: Les douleurs aiguës ne font pas longues. Leurs intervalles font des moments de bonheur pour celui qui a fouffert, & le malade lui-même a fes jouiffances. Ainfi tout eft mélangé dans la vie; toute infortune à fes confolations.

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