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approfondir, pour en tirer du plaifir, & non pour les estimer; qu'on s'inquiete peu de ce qu'ils font, pourvu qu'ils foient aimables; il fera accueilli fans être connu, fe verra priser au taux de fa propre eftimation, & trouvera le moyen d'être toujours confidéré fans changer de mœurs, mais en renouvellant à propos fes liaisons.

D'ailleurs la fauffeté étant affez généralement le défaut des gens du monde, il faut bien qu'on fe la pardonne mutuellement. Quelqu'un vient de fe déshonorer par des actions odieufes : on en parle avec indignation dans le cercle où vous êtes. Un homme entre, l'air dédaigneux, le maintien altier, la tête haute. Tout le monde fe leve; on l'accueille avec des tranfports de joie, on lui digue des marques d'amitié, de refpect proportionnées à fon rang & à fa fortune; on rit quand il fourit, on loue quand il approuve; ce qui lui déplaît, on le condamne ; on femble plus fier quand on a obtenu de lui une parole, un regard.

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Quel eft cet homme? c'est celui-là même dont on vient de parler.

: Si c'est par fes mauvaises actions qu'il s'eft enrichi, vous l'auriez vu plus froidement accueillir, s'il était resté họnnête homme.

Ceux qui s'empreffent de le fêter efpe rent-ils quelque chofe de fes richeffes? Rien du tout. Mais on hait le pauvre qui ne demande rien, on aime le riche de qui l'on n'attend aucun fervice, & l'on eft convenu que la confidération doit toujours accompagner l'opulence,

On ne fait pas tant de façon avec l'homme qui n'a que du mérite, & l'on ne fe donne pas la peine d'être auffi poli, c'est-à-dire auffi faux avec tout le monde.

Si tant de défauts accompagnent la politeffe, on en peut remarquer de bien plus grands,de bien plus dangereux dans la converfation. C'eft là que d'un ton léger & agréable, d'un air aimable & riant, on lance les traits les plus enveni més & le poifon des maximes les plus. pernicieuses. C'est là que l'on rit de la

probité févere qui nuit à la fortune, & que la rufe criminelle, les moyens détournés de parvenir, font traités d'habileté; c'eft là que l'honnête homme est un fot, & l'intrigant perfide un homme d'efprit. Des femmes fans pudeur, au milieu d'un cercle d'hommes brillants & fans principes, lancent le farcafme déchirant fur les perfonnes de leur fexe qui font affez courageufes pour ofer remplir les devoirs d'époufes & de meres, & fur les hommes affez eftimables pour les refpecter. Le mérite eft facrifié à la fcience des modes, au goût de la parure, & la raifon folide au vain éclat d'un efprit faux. On entend l'homme grave par fon âge & par l'état qu'il remplit, tourner les bonnes mœurs en ridicule, ériger en philofophie les principes affreux de la corruption, traiter la fageffe de folie abfurde, plaifanter le jeune homme qui ne s'eft pas encore plongé dans la débauche, & faire rougir les femmes qui confervent un refte de pudeur. Voilà l'homme généralement accueilli,& qu'on

appelle un agréable vieillard : vil débauché, en qui l'amour du vice à furvécu au pouvoir d'être vicieux, & qui, dans un corps faible & flétri, porte un cœur livré à toutes les paffions dont il a perdu les organes.

Qu'une femme facrifie fes aifes, fes plaifirs, l'amour de la parure, l'envie de briller, le defir plus vif encore de plaire, à la fatigue d'allaiter fon enfant, aux foins embarraffants de veiller à fon édu cation; qu'en dira-t-on dans le monde? Il n'y aura qu'une voix : c'eft une folle. Qu'un homme néglige d'augmenter sa fortune, qu'il en emploie une partie à faire des actions vertueufes, qu'il préfere le plaifir de fecourir l'infortuné, à celui d'écrafer les riches par fon fafte: c'est un imbécille. Ainfi la vertu eft couverte d'opprobre, & le vice applaudi se montre couronné de fleurs. Juger de nos mœurs par les converfations de gens mêmes qui paffent pour honnêtes, ce ferait s'exagérer encore notre déprava

tion.

Mais autant on exalte le vice, autant on pourfuit les plus légers défauts. Malheur fur-tout à celui dont les ridicules tiennent à des vertus ; au magistrat kudieux qui a perdu dans l'étude ces graces qu'on n'acquiert que dans la vie oifive; à l'homme pur, toujours prêt à élever la voix contre la plus légere atteinte à la févere probité; à cet ardent militaire couvert de cicatrices, qui, tout rempli d'un art qu'il a tant de fois employé pour le fervice de l'Etat, ne parle encore que de combats; à l'homme timide & honnête, qui ne fait point infulter galamment un fexe qu'il refpecte; mais furtout à celui qui, ayant perdu la plus belle partie de fa vie à exercer fa raison, ne parle qu'après avoir penfé, ne fait dire que des chofes folides, éclaire des gens qui ne veulent qu'être étourdis fur leur ennui, & ne connaît point l'art vainqueur d'étaler fur des riens des phrases brillantes & vuides de fens. Tous ces gens ont le plus grand ridicule, celui de n'avoir pas les vices de mode.

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