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Gouvernement.

Le même bien général, qui est la fource & le but des devoirs, a donné naissance au gouvernement.

Eh quoi? L'homme n'a-t-il donc pas le droit d'être libre? Et qui lui difputera le droit de chercher un défert fauvage, d'y errer, d'y fouffrir, & d'y périr en liberté ?

Mais il faut convenir d'une vérité bien trifte. C'est au prix d'une partie de cette liberté même, que l'homme achete la sûreté de ce qui lui en refte & tous les avantages de l'état focial.

Livrés à l'impétuofité de mille paffions différentes, agités par le choc de mille intérêts divers, aveuglés par l'éclat de mille faux avantages qu'ils ne peuvent fe procurer qu'aux dépens les uns des autres; les hommes font incapables de refter libres au milieu de leurs femblables. Une liberté fans bornes ferait pour eux un don empoisonné qu'ils recevraient

avec une joie ftupide, & qui leur cauferait bientôt une mort douloureufe.

Il faut que leurs paffions foient réprimées le frein des loix : il faut que

par

l'homme reçoive des chaînes. Par le vice de fa nature il eft foumis néceffairement aux loix : il l'eft donc en même temps au gouvernement chargé de les porter & de les maintenir.

Si tous les citoyens avaient fur euxmêmes affez d'empire pour réprimer leurs paffions vicieuses; s'ils fentaient que leur repos & celui de la république eft indiffolublement attaché à la pureté des mœurs; aucun d'eux ne craindrait de voir apporter la corruption dans le fein de fa famille. Si tous voulaient être juftes, par le fentiment profond des maux que doit faire éprouver à la république l'injustice de fes membres, & à chaque citoyen l'injuftice de fon femblable; nul ne craindrait les trames fourdes, ni les entreprifes violentes de l'iniquité.

Ainfi les hommes refteraient toujours dans un état de liberté parfaite, & fe

gouvernant affez bien eux-mêmes, ils ne fongeraient pas même à fe former un gouvernement.

Mais dans les affociations des hom

mes, les befoins font pressants & difficiles à fatisfaire : les defirs font véhéments. Celui qui peut arracher à fon voifin faible la fubfiftance qui lui coûterait plus à fe procurer par le travail, ne se refusera pas à la douceur de contenter fes appétits par les moyens les plus faciles. De là un cruel état de guerre citoyens contre citoyens : de là l'idée de la juftice, & l'établiffement d'un pouvoir capable de la faire respecter.

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Sans tous les défordres que les hommes apportent eux mêmes dans leur union, de quel droit donnerait-on des ordres à des gens qui agiraient affez bien fans en recevoir ? De quel droit chargerait-on de fers des bras innocents qui n'abuferaient jamais de leur liberté ? Rien alors ne ferait plus injufte que le pouvoir d'un feul qu'on nomme prince, ou de plufieurs qu'on nomme magiftrats,

fur le grand nombre qu'on nomme peuple.

Mais, fans ce pouvoir, aucun membre du corps focial ne pourrait être paifible dans fes jouiffances, affuré dans fes poffeffions, fans crainte pour fa vie. Rien n'est donc plus jufte que cette puiffance, qui leur affure à tous & la vie & la paix.

Pour reconnaître l'origine du gouvernement, remontons encore à la naiffance de la fociété.

Les hommes, rapprochés les uns des autres, mais n'ayant encore ni poffeffions, ni arts, ni prefque d'idées, ne penferent pas à établir une forme de gouvernement entr'eux. Ils étaient chaffeurs, pêcheurs ou frugivores, fuivant la fituation où ils fe trouvaient.

Quand l'un d'eux se voyait ravir la proie qu'il avait faifie avec peine, il fentait bien l'injuftice; mais on n'y connaiffait point de remede. Il fouffrait la faim, jufqu'à ce qu'il eût trouvé une autre proie, qui, fur un terrein peu ha

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bité, & pour des habitants peu difficiles, devait fe trouver ordinairement bientôt, Mais quand la population plus nombreuse eut rendu les fubfiftances plus rares; quand la pêche, la chaffe ou les productions fpontanées du fol ne fuffrent plus aux habitants multipliés; il fallut raffembler des troupeaux, planter des arbres; cultiver la terre. On fert bien que les termes entre ces différentes époques durent être fort longs.

L'homme eut alors le malheur, devenu néceffaire, d'être poffeffeur. Avec les poffeffions naquirent l'avarice, la cupidité, la fraude. Parcequ'on avait déjà quelque chofe, on defira beau

coup.

Auparavant, un homme affamé aurait bien arraché la nourriture des mains de fon femblable: mais à préfent un homme qui n'a pas de befoins, veut augmenter fes poffeffions, pour goûter le plaifir d'avoir de grandes poffeffions.

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On arrache à un autre ce qui lui eft néceffaire pour vivre, afin de ne pas

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