Au refte, quand le gouvernement fe trompe, ce n'est souvent qu'une longue expérience qui peut apprendre qu'il s'eft trompé. Une loi avantageufe à l'affociation générale, mais qui fait fouffrir un individu, eft toujours condamnée par cet individu, & par ceux qui lui font attachés, quoiqu'elle foit utile à lui-même en effet, puifqu'elle l'eft à tout le corps politique. par Celui qui eft gêné dans fes defirs une loi fe plaint de cette loi, Il fe plaindrait encore bien davantage, fi on laiffait un libre cours aux defirs effrénés de fes concitoyens. Une loi qui ordonne une réforme néceffaire, ne fera jamais approuvée par celui dont cette réforme dérange le bien, être. Une loi qui n'eft point infpirée par la juftice, qui ne tend pas à l'intérêt focial, n'eft pas une véritable loi. Ce n'eft qu'un acte de caprice ou de tyrannie. Citoyens, lorfque la fociété dans la quelle vous vivez s'eft long-temps fou→ tenue avec un certain fyftême de légiflation, croyez qu'il lui eft convenable, & qu'il ferait même dangereux de le renverfer. Ne méprisez point votre patrie, parceque vous en entendez cenfurer la législation , parceque des rêveurs inquiets confeillent de la changer. Un temps de réforme est un temps de crise; toute crise est dangereuse, on ne fait pas quelle en fera la fin. Le corps fouffre par un changement de régime; on veut augmenter fa force, & l'on rifque de lui donner la mort. On ne peut toucher que d'une main tremblante à une légiflation confacrée par le temps. Elle peut avoir des défauts qui foient eux-mêmes analogues à la conftitution du corps qui l'a reçue, comme l'animal éprouve quelquefois des maladies qu'on ne peut guérir fans lui donner la mort. Un homme fain doit se tenir à fon. régime ordinaire: une fociété vigoureuse doit conferver fes mêmes loix. Malheur aux générations vivantes à " l'époque où la forme d'un gouvernement eft changée! Livrées à tous les déchirements qui accompagnent les diffentions inteftines, poursuivies par le fer, par le feu, par l'aveugle fureur,par la vengeance atroce des différents partis tantôt vaincus, tantôt victorieux, elles ne prévoient que des maux plus funeftes encore après tous ceux dont elles meurent victimes, & font dévouées en facrifice à la profpérité douteufe des générations à venir. Figurez-vous un architecte qui, peu content de la conftruction de Paris ou de Londres, proposerait de les détruire. Vous aurez une jufte idée de quantité de livres écrits pour la réformation de la fʊciété. Encore la plupart de leurs auteurs veulent-ils abattre des palais pour élever des chaumieres, Qu'ils écoutent ce que Montaigne femble leur avoir adreffé. Ce n'était un homme à petits préjugés. pas "Il est bien aifé, dit-il, d'accufer d'imperfections une police : car toutes cho «fes humaines en font pleines. Il est bien «aifé d'engendrer à un peuple le mépris « de fes anciennes obfervances... Mais d'y rétablir un meilleur état en la place « de celui qu'on a ruiné, à ceci plufieurs "fe font morfondus qui l'avoient entreprins... Je me laiffe volontiers aller à l'ordre public du monde. Heureux peuple, qui fait ce qu'on commande mieux «que ceux qui commandent, fans fe "tourmenter des caufes! qui fe laiffe mollement rouler après le roulement « célefte «! Ce n'eft pas qu'un gouvernement, comme toutes les chofes de la terre, ne doive fubir des changements. On peut le comparer à un édifice : mais comme cet édifice est tout l'état, on ne peut le démolir que l'état entier ne foit bouleverfé dans fes décombres. Il faut fe con. tenter des réparations néceffaires, & remplacer par une pierre nouvelle l'ancienne pierre qui menace de la chûte. Certaines loix convenaient au gouver nement encore barbare: on y fubftituera des loix nouvelles, convenables à un gouvernement gouvernement éclairé. Ce fera l'efprit national qui, dans fes progrès fucceflifs, fera lentement, mais avec sûreté, ces réparations indifpenfables: avec le temps, la totalité de l'édifice fe trouvera renouvellée, fans qu'on puiffe dire qu'il ne foit plus le même, Toujours ferme fur fes fondements, toujours lié dans toutes fes parties, & n'ayant jamais éprouvé les fecouffes du marteau deftructeur, il réunira l'appareil impofant de la vénérable antiquité, à la fraîcheur, à la commodité d'une conftruction nouvelle. |