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Le Prince.

PLUSIEURS écrivains ont fuppofé l'exiftence d'un contrat primitif entre le fujer & le fouverain. Qui a vu l'original de ce contrat? Dans quel monument hiftorique eft-il configné ? Qui a pu le paffer? Qui a eu le droit de me repréfenter avant que j'exiftalle?

Le devoir de la fidélité n'eft point appuyé fur une promeffe que les fujers n'ont pu faire avant que de naître, & que perfonne n'a pu faire pour eux: mais fur le plus fort de tous les engagements, fur celui de confulter l'avantage de la fociété d'où dépendent leurs propres avantages. Elle ne peut fubfifter qu'à l'abri du gouvernement, qui ne peut

lui-même fe maintenir

que par l'obéiffance & la fidélité des fujets.

Le devoir des rois leur eft dicté par leur propre intérêt plus fort que tous les contrats. La félicité des peuples ne peut

être que l'ouvrage du prince, & feule elle fait le bonheur, la puiffance, la gloire & la félicité du monarque.

Toutes les obligatións des princes, comme celles des fujets, peuvent être énoncées dans une feule loi; Soyez juftes. De la juftice du prince, fuit le bɔnheur des fujets.

Si le fouverain eft juste, il fentira que ce n'eft pas pour fon propre avantage, mais pour celui des peuples, qu'il jouit de la puiffance; que tant de prérogatives ne lui ont pas été attribuées fans qu'il dût les payer d'aucun retour; que tous les fujets ne contribuent à fa grandeur, à fa sûreté, que pour qu'il leur procure à tous la sûreté, le bonheur; qu'ils font entre fes mains, pour la confervation de l'état, le facrifice d'une portion de leur propriété, afin qu'il leur affure la tranquille jouiffance du refte; qu'il ne doit exiger ce facrifice que jufqu'au point où il est néceffaire à eux-mêmes; qu'enfin fi tout l'état eft remis entre les mains d'un feul homine, c'est pour qu'un feul hom

me veille avec une follicitude paternelle fur la profpérité de tout l'état.

Dans la démocratie, chaque citoyen eft chargé pour fa part des foins du gouvernement : dans la monarchie, le fouverain prend fur lui feul les foins qui, dans le gouvernement populaire, feraient répartis fur tous les citoyens.

tirer

Le tyran croit qu'il regne pour à lui tout le bonheur, & laiffer tous les maux à fes fujets. Le jufte prince fait que le pouvoir fuprême lui eft confié pour travailler, pour veiller au bonheur d'une immenfe famille, pour en être le tendre pere, pour fe charger des peines & des inquiétudes, tandis qu'il procure à ses peuples le repos & la fécurité.

Le bon prince aura bien plus de fatigue, mais il éprouvera bien plus de douceurs, qu'aucun de fes fujets. Chacun d'eux n'eft heureux que de fon propre bonheur; il le fera du bonheur de tout un peuple.

Une félicité fans mélange n'eft point accordée à l'homme; elle ne peut donc

l'être à toute une nation. Le prince efpérerait en vain rendre parfaitement heureux chacun de fes fujets; mais il goûtera le repos d'une confcience pure, quand il les aura rendus tous auffi heureux qu'ils peuvent l'être par lui.

Il ne fuffit pas qu'il aime, qu'il veuille le bien; il faut qu'il le connaiffe. Combien de princes fe font écartés du vrai but qu'ils devaient fe propofer, parcequ'ils ont cru que le plus grand des biens dont pût jouir une nation, était la gloire que procurent les armes : erreur funefte, préfentée trop long-temps aux princes comme la premiere des vérités!

Un prince éclairé aimera mieux fa nation fortunée que brillante. Il voudra qu'elle en impofe par fon courage, par fa difcipline, & non qu'elle infpire la terreur par une ambitieufe inquiétude; qu'elle fache manier les armes pour faire refpecter fon repos, & non qu'elle prenne les armes pour troubler celui des autres peuples; jufte envers fes voisins comme envers fes fujets, il n'entrepren

:

dra la guerre que pour réfifter à l'infquité il ne l'entreprendra qu'en gémiffant, parcequ'elle ne fera guere moins funeste à ses sujets même victorieux qu'ả leurs ennemis vaincus.

Il ne peut tout voir par fes yeux, il fera donc trompé : mais il dépend de lui de l'être beaucoup moins qu'on ne pense. Tout ce qui entoure le fouverain adopte fes goûts, fe modele fur fon exemple. S'il aime la chaffe, il eft entouré de bons chaffeurs i la mufique lui plaît, il ne manquera pas d'habiles muficiens : s'il aime la vertu, s'il la pratique, il ne verra autour de lui que des amis de la vertu. Qu'il aime véritablement fon peuple, il ne trouvera que des amis du peuple : qu'il gémiffe fur les maux de l'humanité, tout ce qui l'environne s'empreffera de les foulager.

Mais on a connu des princes qui aimaient leurs peuples, qui aimaient la vertu : ils n'en étaient pas moins entourés de courtifans oppreffeurs & vicieux. Ils croyaient avoir une cour honnête,

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