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XIV.

La matiere qu'on amplifie doit toujours croître : les derniers tours enchériffent fur les premiers: ils prouvent, ils convainquent, ils perfuadent, ils laiffent enfin fans replique.

XV.

Il eft quelquefois néceffaire de revenir à une raifon décifive, & de l'inculquer de nouveau. Tous les Auditeurs ne s'intéressent pas d'abord, plufieurs font diftraits, quelques-uns ont la conception dure, d'autres font prévenus: un retour au point décifif acheve de perfuader. On facrifie ainfi aux avantages de la persuasion les agrémens de la variété.

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XVI.

Les digreffions font infupportables aux Auditeurs d'un jugement exact, Pour peu que l'Orateur s'écarte, ils le croient égaré. Si la néceffité en amene quelqu'une, il faut bientôt rentrer dans le fujer. On fe confole du débordement d'un fleuve, qui a comblé des foilés à fec, quand il rentre promptement dans fon lit.

XVII.

Les Saints Peres plus attentifs à la fin du ministere, qu'à la régularité du dif

cours, n'ont pas fait difficulté de fe détourner du fujet, quand la charité les y invitoit. Le zele peut faire négliger les regles : fe perdre ainfi, c'est fe retrouver avantageusement.

CHAPITRE XII.
Des Paffions.

I.

Arlant aux hommes, on compte trop fur leur raison: on ne les perfuade pas toutes les fois qu'on les convaine; l'efprit ne prononce qu'après que le cœur a donné fes conclufions.

I I.

La volonté a fes motifs à part; on l'attire, on la gagne, en mettant les paffions en mouvement: la raifon toute féche ne pouffe que des traits émous

fés.

III.

Le peu de goût que l'homme charnel a pour la vertu, exige qu'on en parle avec fentiment. Pour ébranler une imagination pefante, pour échauffer un cœur froid, il faut des tours vifs & des mouvemens paffionnés.

I V.

Il péche plus par cupidité que par ignorance. Il fait affez ce qu'il doit faire. Peu contestent de bonne foi les vérités & les droites maximes. Le fecret eft donc de montrer à la paffion son véritable intérêt, & de l'empêcher de s'y méprendre.

V.

L'amour, l'averfion, l'efpérance, la crainte, la honte, les louanges font les refforts qui remuent l'ame. Le fimple expofé des devoirs ne fait qu'une impreffion légere; mais celle qui pénétre vient des motifs pouffés jufqu'à intéreffer la paffion.

V I.

Au théatre on ne veut émouvoir qu'autant que dure le fpectacle. Au Barreau il faut entretenir l'impreffion jufqu'à ce que l'Arrêt foit prononcé.

Mais dans la Chaire on doit exciter des

fentimens permanens & qui croiffent.

VII.

Comme la vertu gêne l'amour propre, pour la lui perfuadet, il faut lui préfenter des avantages qui le dédommagent. On le ménage autant qu'on peut, fans faire préjudice à la vertu : on tempere les reproches on impute

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les égaremens à l'ennemi commun, l'ignorance, à l'occafion, à la violence de la tentation. On fait tomber les menaces évangéliques fur des défordres que l'amour propre ne peut défavouer. Nul motif ne frappe tant la cupidité, qu'une crainte bien fondée.

VIII.

Les grands mouvemens ne doivent pas être trop fins. Pour terraffer les monftres, on n'emploie pas des armes de parade & de montre: il y faut le fabre & la maffue.

IX.

La paffion véhémente est rapide: le ftile y eft brufque & précipité, fans nombre, fans liaison, fans expreffions recherchées. Le bon foldat pouffe l'ennemi à outrance, peu en peine fi lẹs fpectateurs font charmés de fa grace, Tout lui eft bon pourvû qu'il vainque.

X.

Un difcours châtié, exact, fleuri, périodique, n'eft pas le langage de la paffion la nature émue s'explique plus fimplement; elle n'amufe pas l'efprit, elle va droit au cœur : elle a cependant les infinuations, fes figures. A la fin elle arrange avec un tefte d'émotion ce que dans le feu elle a traité en défordre.

XI.

Ces irrégularités éloquentes font plus propres aux Sermons qu'à toute autre action oratoire. Le Prédicateur envifage moins la perfection, que le fruit du difcours. S'il touche, s'il convertit, c'est un bon Sermon, fût-il au deffous du médiocre.

XII.

Le pathétique outré tombe dans le froid, dans l'ennuieux. Le cœur veut se donner, il n'aime pas qu'on le force. Une exclamation, une interrogation, une apoftrophe, un ton infinuant font plus d'impreffion, que des mouvemens convulfifs.

XIII.

Il ne faut ni exciter des mouvemens trop fréquens, ni les foutenir trop longtems. On s'accoutume à ce qui dure, & on ceffe d'en être frappé. Le corps s'endurcit aux coups réiterés, &

l'ame aux mouvemens continués.

XIV.

Il est des furprises qui confternent. Erafme a dit d'un Prédicateur de fon tems, que quand le peuple étoit ému jufqu'aux larmes, il defcendoit brufquement de Chaire, & laiffoit dans fon émotion l'auditoire confterné,

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