Imágenes de páginas
PDF
EPUB

pendant deux heures, je fis tirer mon canon fur luy. Les gens qui le montoient en eurent tant d'épouvante qu'ils amenerent leur voile.

Je fus à l'abord dans l'inftant; & comme la mer n'étoit pas groffe, je fis attacher le Bâtiment au Vaiffeau, & mes gens qui fauterent dedans, fe mirent à piller & à dépouiller. Trois femmes se presenterent dans ce moment, & la compaffion naturelle que j'ay pour le fexe, me fit crier à ceux que je commandois de ne point toucher à celles-ci. Aprés avoir mis en fûreté dans mon Vaiffeau ces femmes qui pleuroient beaucoup, je fis enchaîner quatorze Turcs qui étoient dans la Barque, & fis prendre tout ce qu'il y avoit. Le Bâtiment appartenoit à de pauvres Chré tiens à qui je le rendis avec une

petite voile, deux barils d'eau, & un fac de bifcuit. Ilfe trouva auffi deux jeunes garçons de 8 à 9 ans chacun, que je défendis de dépouiller, aprés quoy j'ordonnay à un des Matelots qui parloit Turc, de demander à ces femmes ce qu'elles avoient à pleurer. La plus jeune qui n'étoit âgée que de 16 à 17 ans, me dit en Italien qu'il n'étoit pas neceffaite d'employer un Drogman pour elle,parce qu'elle étoit Chrétienne : Vous avez tort, lui dis-je, de pleurer, puifque je vous ote d'entre les mains des Turcs. Il eft vrai, Seigneur, me répondit-elle, mais je fuis entre les mains d'un Corfaire. Non, ma belle, ajoûtay-je, les Corfaires ne font pas fi mé chans, que vous vous l'imaginez; confolez- vous, je feray tout mon poffible pour que vous n'ayez pas fujet de vous

plaindre de moy. On ne put confoler les deux autres qui étoient Turques, ellesfe donnoient des coups, & fe couchoient par terre comme des defefperées.

Quand tout fut tranquille, & que j'eus fait ranger les voiles pour reprendre ma route vers Nio, je demanday à la jeune efclave fon Païs, & par quelle avanture elle étoit tombée entre les mains des Turs. Voicy ce qu'elle me dit. Elle étoit de Malte, fille d'un Médecin affez riche, nommé Lorenzo. Son pere dans une extremité de ma ladie, avoit fait vou, fi Dieu lui redonnoit la fanté, d'aller à Notre-Dame de Lampadouze, devotion fur une Ifle deshabitée à environ cent trente mille de Malte. Le Seignor Lorenzo guery, la complaifance qu'il eut d'embarquer avec luy fa femme, & fa fille unique pour

executer fon vou, ne fut que trop indifcrete. Comme fa Barque tournoit une pointe de l'Ifle Della-Lionofa pour mettre pied à terre, un Brigantin Turc vint fur elle à force de ra mes, & s'en rendit le maître. Les Turcs menerent leur prife à Alger, ou le Médecin, fa femme & fa fille furent vendus à un Marchand riche, nommé Side-Mahomet. Lorenzo traita avec luy de fa rançon de celle de fa femme, & de fa fille pour 2000 piaftres Sevillanes. Le Patron qui étoit un bonhomme, les traitoit avec honnêteté.

Dans le tems que l'argent de la rançon fut à venir, un Aga du Grand Seigneur vint négocier quelque affaire avec le Dey d'Alger. Par malheur pour la jeune fille du Médecin, l'Aga qui logeoit chez Mahomet la

trouva trop belle à fon gré. Il demanda au Patron de cette fille ce qu'il feroit d'une fi bel le efclave, Le bon-homme luy répondit qu'il n'en vouloit rien faire, parce qu'elle étoit avec fon pere & fa mere quii'avoient rachetée avec eux, & que lorf qu'il auroit reçû l'argent de leur rançon, ils pourroient aller où ils voudroient. L'Aga lui dit fur cela : Je veux que tu me vende cette efclave. J'ay or dre du Grand Seigneur d'acheter pour fon Serail toutes cel les qui lui reffemblent. Le pauvre Patron voulut dire quelque chose pour montrer qu'il y auroit de l'injustice; mais l'autre fe mit en colere, & le menaça de le faire mourir sous le bâton, fi dans deux heures il ne luy amenoit pas l'esclave.

La jeune fille s'enfuit dans l'appartement des femmes toute

« AnteriorContinuar »