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point accepter. Je m'eftimois trop heureux, luy difois-je, de luy avoir pû rendre quelque fervice en la perfonne de fon aimable fille. Ce galand homme touché de mes honnêtetez, & ne fçachant plus comment me témoigner fa reconnoissance, me dit qu'il ne luy restoit plus qu'à m'offrir fa fille uni. que; & par ce moyen l'efperance de poffeder un jour tout fon bien qui étoit affez confi derable. Je m'excufay fur ce qu'ayant entrepris de longs voyages, je n'étois pas encore en état d'accepter un offre fi glorieuse, & fi avantageuse en méme tems.

Je demeuray donc cinq jours dans cette maison; & comme je ne voulus rien de tout ce qu'on m'avoit presenté, la Damoiselle m'obligea de prendre un Diamant d'environ cin

quante pistolles. Elle me fit quelques reproches fur ce que je refufois de l'époufer presentement. Mais comme je n'avois pas encore de penchant pour le mariage, & que mes def feins ne me permettoient pas de m'engager fi-tôt, je la priay de ne point trouver mauvais fi je n'acceptois pas l'honneur qu'elle me faifoit, que je ne manquois pas d'inclination pour elle, mais que le tems n'étoit pas encore venu que je pûffe la satisfaire; qu'eftimant fon merite autant que je faifois, elle pouvoit s'affûrer, que fi j'avois à prendre une femme, ce ne feroit jamais d'autre qu'elle. Une des raisons qui me retenoit en ce temps-là, c'est qu'elle étoit veuve; & que dans les fentimens que j'avois eu pour elle, j'avois peine à digerer cette cir. conftance. Elle n'avoit pours

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tant demeuré que huit mois avec fon mari, & elle n'en avoit point eu d'enfans.

Je partis ainfi de-là fort regrette; & quand on fut à la voile, le Capitaine du Vaiffeau me fit voir une quantité prodigieufe de toutes fortes de provifions que la famille du Seigneur Lorenzo y avoit fait apporter. Voilà ce qui regarde la belle perfonne que j'eus le bonheur de tirer d'esclavage, & dont la perte me fut tres-fenfible. Ce qui augmenta mon déplaifir,c'est que dans les derniers momens, à ce qu'on me dît, elle témoigna qu'elle n'auroit point eu regret de mourir, fi elle m'avoit pû voir encore une fois. Je quittay donc ce lieu, fi trifte deformais pour moy, & vins m'embarquer avec le Ca pitaine Baboully.

III.

Route d'Alexandrie. SingulariteZ de cette Ville.

Av

U fortir du Port de Malte nous eusmes affez le vent en poupe toute la journée, le 16 d'Aouft de même; mais le plaifir d'aller fi agreablement ne dura guere. Le vent fe mit tout-à-fait à la bouline; & la nuit du 18 nous effuyâmes nne tempefte des plus affreufes. Le vent étant devenu meilleur le lendemain, nous fîmes route depuis affez tranquillement, vers Alexandrie. La nuit du 23 cependant je fus faifi d'une inquietude dont je ne pouvois demefler la caufe, & quelque chole que je fiffe, il me futim poffible de me tranquilifer. Cela m'obligea de me lever, & com

me je me mis tout à coup à regarder la mer attentivement, les eaux m'en parurent toutes blanches. Dans la frayeur que j'en eus, je courus vîte en avertir le Pilote. Comme le Pilote n'ajoûta pas foy à ce que je luy difois, j'éveillay le Capitaine, & fis beaucoup de bruit. L'ontira un boüilleau d'eau que lá la lumiere fit remarquer trouble & blanche, & la fonde jet-, tée à la mer, il ne fe trouva que fix braffes d'eau, ce qui mit tout le monde en allar

me.

P

On vira le bord; & quand nous eufmes rangé les voiles de l'autre côté, nous marchâmes bien une demie heure avec fix braffes d'eau ; & comme nous avions le bord en dehors, nous trouvâmes fept braffes, aprés huit & neuf, enfin l'on jugea que nous étions devant une

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