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pafferent ce fleuve, & apparemment le Tanaïs, quoiqu'il ne le dife pas, pour s'établir dans le Pays des Cimmériens. Ceux-ci, les voyant arriver en fi grand nombre, mirent en délibération, s'ils s'oppoferoient à leur entrée dans leurs terres, ou s'ils les leur abandonneroient. Cela aboutit à une guerre civile entr'eux, où il périt une infinité de gens. Ce qui en refta prit le parti de fe retirer ailleurs, & fe fauva en cotoyant la mer, jusqu'à un canton voifin du Pont-Euxin, où les Grecs ont depuis bâti la Ville de Sinope.

Quoique Hérodote ne nous marque pas la route, que tinrent les Cimmériens dans leur fuite, il eft aife de la deviner. Etant attaquez par les Scythes du côté du Tanaïs, il n'étoit pas naturel, qu'ils s'allaffent livrer entre leurs mains, en paffant par là. On doit donc croire, qu'ils traverférent le Bofphore Cimmérien, qui de l'aveu du même Historien, (1) eft ordinairement fi fort glacé pendant l'hiver, que des armées entiéres, & même des chariots, le paffent facilement.

Hérodote ne dit rien en cet endroit, qui ferve à fixer l'Epoque de cet événement, laquelle a embaraffe des gens habiles. (2) Mais il dit ailleurs (3) deux chofes, qui nous conduisent à nous en affurer. La premiére, que les Cimmériens paflérent en Asie fous le regne d'Ardys, Roi de Lydie, qui ceffa de vivre en 4087. La feconde, que les Scythes s'étant égarez en les poursuivant dans leur fuite, entrérent dans la Médie, & vainquirent le Roi Cyaxare, qui commençoit d'y regner. Ce qui arriva au plûtard ́en 4081. comme je l'ai remarqué au Chap. IV.

Or on ne sçauroit donner guére moins de deux années, tant à la marche des Scythes, qu'à leur expédition contre les Médes. II n'en falut fans doute pas moins aux Cimmériens, foit pour chercher un endroit, où ils pûffent s'établir, foit pour y bâtir des maisons, & fe mettre à l'abri des injures de l'air. Ainfi je compte, que les uns & les autres purent pafler en Alie vers l'An 4079.

Je fçais bien, que fuivant Strabon', (4) les courfes des Cimmétiens dans l'Afie précédérent de peu la naiffance d'Homére, & que les calculs d'Eufébe, (5) & de Paul Orofe, (6) ne sont pas fort éloignez de ce fentiment. Mais leur autorité n'eft pas comparable à celle d'Hérodote, tant par fon ancienneté, que par ce

(1) Hérodote, IV, 28.

(2) V. P. Petit, De Amazonib. cap. 42.
(3) Hérodote, 1, 15, & 103.
(4) Strabon, Geogr. Lib. 1. p. 6. & Lib.

3.p. 149.

(5) Eufébe, Chronic. ad Ann. 939. (6) Paul Orofe, I, 21. fuivant la correction qu'y fait Scaliger, in dict. Eufebii locum.

qu'il raporte des circonftances de cet évenement, qui en constatent clairement le tems.

Ce qui a pú tromper Strabon, & ceux qui font de fon avis à cet égard, c'eft qu'ils avoient oui parler de la fin tragique du Roi Midas, caufée par les Cimmériens, & dont il fera parlé ciaprès, Chapitre VIII. Or ils ne connoifloient, comme beaucoup d'autres, qu'un feul Roi de ce nom, dont Honiére avoit fait l'épitaphe, comme on la voit en fa vie faite par Hérodote. (1) Mais il eft für, qu'il y a eu plufieurs Rois de Phrygie, qui ont porté le même nom, comme je le ferai voir dans un Chapitre part. Ainfi le paffage des Cimmériens en Afie, doit être fixé au tems, que j'ai marqué.

Ce fut fans doute peu après, qu'ils envahirent la Lydie, & affiégérent la Ville de Sardes, dont ils s'emparérent, fans pouvoir néanmoins le rendre maitres du Château. Cela fe fit, comme il a été dit, fous le Roi Ardys, (2) & par conféquent avant le regne de fon fils Sadyatte, lequel commença en 4087. Le Poëte Callinus (3) avoit fait un poëme exprès fur cette expédition ; mais dont il ne nous refte que quelques fragmens.

Dans ce même tems les Cimmériens ravagérent (4) par de continuelles courses toutes les Provinces voisines, fçavoir la Bithynie, la Paphlagonie, la Phrygie, l'Ionic, & jufques à la Cilicie. Ils firent fur-tout de fi grands ravages en Phrygie, que le Roi Midas, défefpéré de ne pouvoir leur réfifler, (5) fe donna la mort en avalant du fang de taureau.

Lygdamis, qui fuivant Strabon (6) étoit le chef des Cimmériens, les conduifit enfuite en Ionie. Mais il n'y prirent aucune Ville (7) & ne firent que ravager le Pays. Ils brulérent feulement (8) le fameux Temple de Diane, qui étoit à sept stades (9) d'Ephèse.

Une partie de cette armée fe jetta (10) enfuite dans la Cilicie, fous la conduite du même Lygdamis. Mais cette course fut fi malheureuse, qu'il y périrent tous, à ce qu'on dit ; & Callimaque a prétendu, que ce fut en punition du facrilege, qu'ils avoient com

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mis, en mettant le feu au Temple de Diane.

Cet échec entraina la ruine des établissemens, que les Cimmé riens avoient faits en Lydie, en Phrygie, & dans les autres Provinces voisines. Hérodote dit, (1) qu'Alyatte, Roi de Lydie, les chaffa entiérement de l'Afie. Mais comme fon regne fut long, on ne fçait pas au jufte le tems de cet événement. De la maniére néanmoins, dont il en parle, il eft probable, que ce fuc après qu'il cût fait fa paix avec les Médes. Ce qui arriva en 4117. fuivant ce que j'ai obfervé au Chapitre IV. Il y a même lieu de croire, que les Cimmériens ne furent pas encore entiérement chaffez des lieux, dont ils s'étoient emparez, s'il eft vrai, comme l'aflure Etienne de Bizance, (2) qu'ils fe maintinrent pendant un fiécle entier dans la Ville d'Antandre, à laquelle ils donnérent le nom de cimméris, au lieu de celui d'Edonis, qu'elle avoit auparavant. On fçait auffi, (3) que pendant qu'ils étoient en Phrygie ils avoient donné le même nom à la Déefle Cybéle, fous la protection de laquelle ils s'étoient mis apparemment.

Je finirai ce qui les regarde, par le récit, que fait un Ancien, (4) de la maniére, dont Alyatte trouva le fecret de le défaire de ces redoutables ennemis. Comme ils étoient d'une taille extraordinaire, & qu'ils avoient apporté de leurs Pays natal l'ufage de fe couvrir de peaux de bétes, Alyatte drefla de grands dogues à attaquer des animaux fauvages ; & après les avoir ainfi aguerris, il s'en fervit utilement contre les Cimmériens, que ces dogues prenoient pour de pareils animaux. Ce ftratagème eut tout le fuccès, qu'en attendoit le Roi de Lydie, qui par ce moyen mit bientôt en déroute les Troupes Cimmériennes.

A l'égard des Scythes, non contens d'avoir chaflé les Cimmériens de leur Pays, ils les pourfuivirent jufques en Asie. Hérodote, (5) qui nous apprend ce fait, raconte que leur armée, qui étoit très-nombreufe, & conduite par Madye, fils de Protothye, (que Strabon, (6) par équivoque a fait Général des Cimmériens) étant arrivé au Mont Caucafe, s'égara dans fes détours; & qu'au lieu de prendre le chemin à droite le long du Pont-Euxin, comme avoient fait les Cimmériens, elle entra par la gauche dans la Médie, & commença à y piller, fuivant la coutume de cette Nation.

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Cyaxare, Roi des Médes, qui affiégeoit alors Ninive, crut que le plus preffe étoit d'empêcher, que les Scythes ne ravageaffent les Etats. Il leva donc le fiége, & étant allé à leur rencontre, il leur livra bataille. Mais fon Armée fut tellement mile en déroute, que les Scythes, ne trouvant plus de résistance dans la Haute-Afie, s'en rendirent bientôt entiérement les maîtres.

A peine y curent-ils établi leur domination, qu'attirez par la réputation des richeffes de l'Egypte, ils fongerent à y porter la guerre, & entrérent à cet effet (1) dans la Palestine. Mais Pfammérichus, qui regnoit alors en Egypte, ayant fagement détourné cet orage par de grands préfens, qu'il fit aux Scythes, ils fe contentérent de ravager la Syric. Eufebe (2) place cet événement fous la feconde année de l'Olympiade 37. c'est-à-dire fous l'An 4083. qui étoit le second, ou le troifiéme du regne de Cyaxare. Mais il est évident, que cela ne pût arriver, que quelques années enfuite. Ce fut apparemment dans ce tems là, qu'ils donnérent leur nom à la Ville de Scythopolis (3) dans la Palestine.

Une partie de l'Armée des Scythes s'étant arrêtée à Ascalon, y pilla le Temple fameux de Vénus Uranie. C'est à cette occasion, qu'Hérodote dit, que la Déeffe irritée envoya aux Scythes la maladie des femmes. Expreffion, dont le fens équivoque a donné la torture aux Sçavans, & que j'expliquerai dans un Chapitre à part.

Enfin, dit le même Hiftorien, après que les Scythes curent tenu P'Empire de la Haute-Afie pendant vingt-huit ans, & qu'ils y eurent exercé toutes fortes de brigandages, & de vexations, Cyaxare trouva, le moyen de s'en défaire en cette forte. Comme il paroiffoit vivre en amitié avec eux, il eut l'adrefle d'attirer leurs Chefs dans un grand feftin, apparemment à Ecbatane, dont je crois qu'il étoit demeuré le maître, en leur payant un tribut; & les ayant ennivrez, il les fit tous égorger, & recouvra ainfi l'Empire, tel qu'il en avoit joui au commencement de fon regne. J'ai montré au Chapitre IV. que cet événement arriva en 4108. ou 4109.

Alors les Scythes, qui reftérent dans cet Empire, fe voyant destituez de Chefs, & en horreur à tous les Peuples, (4) prirent le parti de retourner en Cimmérie, & apparemment ils n'y trouvérent aucun obftacle de la part de Cyaxare. Mais ils en rencontrérent un autre, auquel ils ne s'attendoient pas. Pendant leur abfence, leurs femmes avoient épousé leurs efclaves, & en avoient eu des enfans. Ces jeu(3) V. Etienne de Byzance,P. Σκυθόπολις (2) Hérodote, IŸ, 1, & feq.

(1) Hérodote, 1, 105, 106.

(2) Eufébe, chronic. ad Ann, 1387,

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nes gens, qui étoient devenus grands, & qui prévirent le fort, qui les attendoit, s'ils laiffoient leurs maîtres rentrer dans leur Pays, fe déterminérent à en défendre l'entrée contre eux.

Pour y parvenir, ils creutérent un profond retranchement, lequel s'étendoit depuis les montagnes, appellées Tauriques, jusques aux Palus Méotides. Ifaac Voffius (1) s'eft fort trompé fur la fituation de ce retranchement. Il a prétendu, que c'étoit ce canal, qu'on voyoit autrefois entre le Volga, & le Tanaïs. Mais par un autre endroit d'Hérodote, (2) il paroît qu'il étoit fitué dans la Cherfonéfe Taurique, appellée aujourd'hui crimée, & que depuis là on traversoit le Bofphore Cimmérien pour aller au Pays des Sindiens. Car en cet endroit il faut lire, .vdes, & non I'vdes, comme l'avoit déja observé Holstenius. (3)

D'ailleurs ces montagnes, qu'Hérodote appelle Tauriques, étoient à l'entrée de cette Péninfule, & en fermoient en partie la gorge. Ainfi les Rébelles, qui apprirent apparemment trop tard, que les Scythes étoient entrez dans la Cherfonéfe, voulurent les empêcher de paffer le détroit; dont je viens de parler, par le moyen du large fofle, qu'ils y creuferent. C'eft ainsi qu'Euftathe (4) a entendu ce paffage, & qu'il doit l'être en effet. Je crois que ce foffe eft celuilà même, dont parle l'Empereur Constantin Porphyrogénére, (5) comme étant déja de fon tems en partie comblé, & couvert de bois. C'est auffi apparemment celui, qu'a marqué le Sieur de Beauplan dans la Carte, qui est au-devant de fa Defcription de l'Ucraine. Ptolémée (6) en parle comme d'une Ville, nommée Taphros, & Pomponius Mela, (7) comme d'un Canton, appellé Tahra.

Etienne de Byzance (8) s'en explique avec plus de juftefle, en difant que c'étoit un terrain fortifié par un bon folle par les esclaves de Scythes. Il prétend seulement, suivant d'autres Auteurs, que cela arriva, pendant que leurs maîtres étoient occupez à une guerre vers la Thrace, & le Danube. Ce qui fuppofe, que ce retranchement fut fait, pour les empêcher de rentrer dans la Cherfonéfe Taurique ; au lieu, que fuivant Hérodote, ce fut pour les empêcher d'en

fortir.

La narration de l'Hiftorien Grec eft confirmée par Justin, (9)

(1) If. Voffius, in Pompon. Melam, III, | 42, p. 142. S.P. 2+4.

(a) Hérodote, IV, 28.

(3) Holftenius, in Steph. Byz. V. Zaydoì.

(4) Euftathe, in Dionyf. Perieg. V, 168. 45) Constantin, De adminiftr. Imper. Cap.

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(6) Ptolémée, Geograph. III, 6. in fin.
(7) Pompon. Mela, II, 1.

(3) Etienne de Byzance, V. Tá¶gat.
(9) Juftin, Hift. II, s,

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