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diens, il y avoit encore les Cynuriens, qui paroiffoient avoir de tout tems habité les lieux, où ils étoient; au lieu que les Pélafgiens étoient certainement une Nation étrangère. Enfin la plûpart des contrées de la Grèce, qui ont porté le nom de Pélafgie, en ayant eu d'autres précédemment, comme nous le verrons dans la fuite, c'est une marque évidente, ce me femble, qu'avant l'arrivéc des Pélafgiens, elles avoient eu d'autres habitans.

La feule chofe, qui peut faire regarder les Pélafgiens, comme le plus ancien Peuple de la Grèce, c'eft qu'ils y firent à peu près la même chofe, que les Européens ont fait dans l'Amérique, après l'avoir découverte. Car ayant trouvé les premiers Grecs vivans à la maniére des Sauvages, fans habits, fans maisons, & fe nouriffans de racines, & de feuilles d'arbres, (1) ils leur apprirent la maniére de couvrir leur nudité, & de fe mettre à l'abri des injures du tems, comme auffi de fe pourvoir de nourritures plus convenables. Ils leur donnérent auffi les premiéres teintures de la Religion, & des Arts & n'oublierent rien pour les civilifer. De plus, le nombre de ces Etrangers s'étant fort multiplié par la fucceffion des tems, ils envoyérent des Colonies dans prefque tous les Pays de la Grèces en forte qu'à cet égard ils peuvent étre juftement appellez les fondateurs de tous les différens Etats, dont elle a été anciennement compolée.

Une preuve qu'ils étoient Etrangers, eft qu'ils parloient une Langue differente de celle des Gens naturels, & qui eft à cause de cela appellée barbare par Hérodote. (2) Je sçais bien, qu'un fçavant homme (3) l'a accufé d'être tombé fur cela en contradiction avec luimême; en ce qu'il dit au même endroit, que les Athéniens, qui étoient originellement Pélasgiens, en perdirent la Langue, quand les Helléniens fe furent mêlez avec eux.

Mais il me paroît, qu'il condamne trop légérement fur ce point un Hiftorien, dont l'autorité eft foutenue de celle du Scholiafte d'Apollonius, (4) & même de celle de Strabon, (5) qui traitent les Pelafgiens de Peuple barbare. Encore que les Helléniens euffent originellement une même Langue, que les Pélafgiens, il fe peut bien faire, que defcendans d'une Colonie particuliére, composée de différentes Nations, (6) que Deucalion avoit conduite en Thessalie,

(1) V. Adamus, Arcadie. I, 3. p. 14. Paul- 1, 580. mier, Loc. cit. p. 55, 56.

(2) Hérodote, 1, 57, 58.

(3) Paulmier, dict. Loc. cit p.54.

(4) Le Scholiafte d'Apollonius, Argonaut.

(5) Strabon, Lib. 9. p. 4'0.

(6) V. Denis d'Halicarnalle, Antiq. Rem Lib. 1. p. 14. & 22.

ils fe foient formez dans la fuite par ce mélange une Langue, qui ne reflembloit prefque plus à la Pelafgienne, & qu'ils portérent depuis dans l'Autique, où en fe perfectionnant, elle fe changea encore de plus en plus. La même chose n'est-elle pas arrivée dans la plûpart de nos Langues modernes ?

Le fentiment d'Hérodote paroîtra encore moins douteux, fi l'on s'en taporte à celui de deux des plus fçavans hommes du fiècle dernier, (1) & que j'ai tâché de confirmer par plufieurs raisons dans ma Diflertation, fur les anciennes Lettres Grèques, & Latines ; fçavoir, que les Pélagiens étoient Phéniciens d'origine. Or on fçait, que leur Langue étoit abfolument différente de la Grecque. Car encore que cette derniére renferme plufieurs mots, qui font dérivez de la Phénicienne, ils font à peine reconnoiffables aux Sçavans les mieux verfez dans la science des Etymologies.

Mais quel fut le lieu de la Grèce, où ils s'établirent d'abord? Denis d'Halicarnaffe (2) prétend avec beaucoup d'apparence, que ce fut dans le Péloponnèfe. Car de tout le continent de la Grèce, c'étoir le Pays le plus voilin de la Phénicie, & par conféquent celui, où les Phéniciens étoient le plus à portée d'aborder. Auffi eft-il certain, (3) qu'au lieu du nom d'Apie, que portoit en premier lieu cette Péninfule, elle prit celui de Pélafgie, quand les Félafgiens s'en furent rendus maîtres, & conferva long-tems cette dénomination.

Il eft vrai, que quelques Anciens (4) fe font perfuadez, que les Pélafgiens étoient originaires de l'Arcadie, contrée particuliére du Péloponnèfe, & qui eft affez éloignée de la Mer; prétendans, qu'ils tiroient leur nom de Pélafgus, Roi du Pays, que la plupart difent fils de Jupiter, & du nom duquel ce canton, felon eux, prit le nom de Pélafgie.

Mais cette opinion n'a d'autre fondement, fi je ne me trompe, que le fol entêtement des Mythologues Grecs, de faire fortir les fondateurs de leurs différentes Nations de quelques enfans des Dieux, & de vouloir nous perfuader, que les noms de ces Nations en font dérivez, quoique fouvent l'origine en foit duë à toute autre chose. C'eft de quoi il feroit aife de donner mille exemples. Il eft bien plus

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naturel de penser, ou que les Phéniciens aportérent ce nom dans la Grèce, ou qu'il leur fut donné par les Habitans du Péloponnèfe, qui devinrent leurs Sujets dans la fuite. On peut voir ce qu'ont dit les Sçavans (1) fur l'étymologie de ce nom.

A l'égard du canton, qu'ils y habitérent d'abord, on ne peut guére douter, que ce n'ayent été les côtes maritimes de cette Péninfule, plûtôt que le cœur du Pays, tel qu'étoit l'Arcadie. Il y a même apparence, que ce furent les lieux les plus voisins de la Ville d'Argos, qui paffoit pour une des plus anciennes Villes de la Grèce, (2) & qui a été auffi appellée Pélafgie, & Argos Pelafgique.

Il falut fans doute du tems aux Pélafgiens pour étendre leur domination dans tout le Péloponnèfe. Auffi Denis d'Halicarnaffe (3) raconte-t-il, qu'ils fe contentérent pendant cinq générations, des divers établissemens, qu'ils y avoient faits. Mais à la fixième ils envoyérent en Theffalie une Colonie nombreuse, sous la conduite de trois Généraux, Achéus, Phtius, & Pélafgus, lefquels en chafferent les anciens habitans. De là cette Province prit auffi le nom de pil.f gie, (4) au lien de celui d'Emonie, qu'elle portoit auparavant.

Jufques-là les Anciens font tellement d'accord fur l'Hiftoire des Pélafgiens, que je ne puis affez m'étonner, qu'un Sçavant auffi éclairé, que notre grand Saumaise, (5) ait pu s'égarer jusques à foutenir, que ces Peuples étoient fortis, non du Péloponnèse, mais de la Theffalie, d'où ils s'étoient enfuite répandus dans tout le reste de la Grèce. Les raisons, qu'il employe pour le prouver, font des plus frivoles.

Il prétend (6) que toute la Grèce fut entiérement fubmergée par le déluge de Deucalion, & que cet événement en fit périr tous les habitans; furtout dans le Péloponnèse, où il n'y avoit point de montagne affez haute, pour mettre perfonne à l'abri de cette inondation. D'où il conclut, que cette contrée n'ayant été habitée, que par les descendans de Deucalion, qui fe retira en Theffalie, & qui étoit Pélafgien, ce ne fut que depuis qu'ils eurent envoyé une colonie dans le Péloponnèfe, que le nom de Pélafgie fut donné à ce Pays.

(1) Saŭmaise, De Ling. Hellenifi. p. 285,

342.

(2) V. Denis d'Halicarnaffe, Antiq. Rom. Lib. 1. p. 14. Etienne de Byfance, au mot, Пeasyla. Spanheim, in Callimach. Hymn. in Pallad. v. 4. Et M. Boivin, aux Mém. de l'Académie des Belles-Lettres, Tom. 2. pag.

442. Edit. in-12.

(3) Denis d'Halicarnafle, Loc. cit.

(4) Strabon, Lib. 8. p. 369. & Lib. 9. pag. 443. Etienne de Byzance, V. Oroaλía. Le Scholiafte d'Apollonius, Argonaut. I, 580. & plufieurs autres.

(5) Saumaife, Comment. De Hellenift. pag. 283, & feq.

(6) Le même, Ibid. & p. 298
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Ce raifonnement roule fur une fauffe fuppofition. Il n'eft point vrai, qu'au tems de ce déluge tous les Habitans de la Grèce périrent, à l'exception de Deucalion, & de fa femme. Aux témoignages des Anciens, que j'en ai raportez ailleurs, (1) on peut joindre ceux de Platon, & d'Eufébe, qu'à citez un Auteur, (2) qui a fait l'histoire de ce déluge. Ils conviennent prefque tous, que ceux, qui purent gagner les hautes montagnes, furent garantis de ce malheur; & il faut bien, que l'Attique même, toute expofée qu'elle étoit à l'inondation, n'en ait pas été détruite, puifque Deucalion, en reconnoiffance de ce que les Dieux l'avoient fauvé de ce danger, y fit bâtir en l'honneur de Jupiter un Temple, dont Paufanias nous a parlé, (3) & à la construction duquel il employa fans doute un bon nombre d'ouvriers. C'est un fait, que Saumaise (4) a été forcé de reconnoître lui-même. On fçait de plus, (5) que Deucalion fut en état de lever une petite Armée, pour conquérir la Theffalie fur les Pélafgiens, qu'il en chaffa, & fur leur Roi Nanas, fils de Teuta

mide.

C'est donc une erreur de croire, que tous les Grecs, & entr'autres les Pélafgiens ayent péri dans ce déluge. On peut encore moins le dire des Arcadiens, dont le Pays étoit plein, comme on fçait (6) de très-hautes montagnes, & qui fe piquoient d'être les plus anciens Peuples du monde. (7) Ce qui fupofe, qu'ils étoient du moins plus anciens, que le déluge, dont il s'agit.

Un fecond argument de Saumaife (8) réfulte, de ce que Deucalion étoit fils de Prométhée, qu'on dit avoir formé l'homme du limon de la terre. Mais comme il fent bien, que cela doit être tenu pour fabuleux, il prétend, qu'il ne faut pas divifer la foi de la Mythologie, & qu'il faut ou la rejetter, ou l'admettre toute en

tiere.

Je ne fçais comment un tel paradoxe a pû échaper à ce grand homme. Čombien y a-t-il de faits dans les Mythologues, que nous fommes obligez de rejetter, foit parce qu'ils font contraires aux Livres Saints; foit parce qu'ils font détruits par de meilleurs Hiftoriens; foit enfin parce qu'ils ne fçauroient fe concilier entre eux? A l'exception de ces cas, on admet quelquefois ce que nous disent les Ecri

(1) En ma Dissertation, De Prifcis Gras.
Latinor. Literis, n. 10, 11, 12.
(2) Georg. Schubart, De Diluvio Denca-
tion. Cap. ult.

(3) Paufanias, Allic. n. 18.
(4) Saumaife, Loc. cit. p. 327.

(5) Denis d'Halicarnaffe, Antiquit. Rom. Lib. 1, p. 14, ☛ 22.

(6) Strabon, Lib. 8, p. 388.
(7) V. Adamus, Arcadic. I, 1.

(8) Saumaife, Loc. cit. p. 288.

vains fabuleux. Non qu'on foit affez crédule pour leur ajouter foi en tout; mais on veut bien préfumer qu'ils ont dit quelques véritez, quoiqu'accompagnées de circonftances fauffes.

Ainfi l'on leur paffe, qu'il y ait eu un Prométhée. Mais on ne leur accorde pas, qu'il ait formé le premier homme avec du limon. Pareillement nous ne doutons guére, qu'il y ait cu un dé luge fous Deucalion. Mais qui croira que ce Prince ait réparé la perte du genre humain de la maniére, dont les Mythologues le racontent? Rien n'empêche donc, que nous ne foyons perfuadez qu'un grand nombre de Pélafgiens échapérent aux caux de ce même déluge, & furtout ceux de l'Arcadie.

Le troisième argument, qu'employe Saumaise, (1) ne paroîc pas plus folide. Selon lui, le plus ancien nom, qu'ait porté le Péloponnèse, eft celui d'Egialée. Il le prouve par un paffage de Strabon, (2) qui dit, que cette contrée ne le quitta, que pour prendre celui d'ionie. Ce témoignage pouroit même être foutenu de quelques autres, (3) & fur-tout de celui d'Apollodore, (4) qui affure, que ce nom fut donné au Péloponnèle, à caufe du Roi Egialéc, fils d'Inachus, & qu'il n'eut le nom d'Apie, que pof térieurement. On fçait d'ailleurs, qu'il ne porta celui de Pélagie qu'après avoir porté ce dernier. Si donc les Péloponnéfiens furent appellez Ioniens avant que d'être appellez Pélafgiens, on doit en conclure, que les Pélafgiens fe font établis au Péloponnèse après Ion, petitfils d'Hellen, & arriére petitfils de Deucalion.

Plufieurs réponses. 1°. Il est si peu certain, , que le Péloponnèse ait eu le nom d'lone immédiatement après celui d'Egialée, qu'on a vû ci-dessus au contraire, qu'il avoit commencé par porter celui d'Apie, & enfuite celui de Pélagie. D'ailleurs Apollodore dit, au paffage ci-deffus cité, qu'on lui donna celui d'Apie, quand il quitta le nom d'Egialée. Puis donc que celui de Pélagie fut le troisième, il s'enfuit que celui d'Ionie fut encore postérieur.

2. L'étymologie du nom d'Egialée, qu'on dérive d'un Roi de Sicyone, eft évidemment fabuleufe, & vient plus naturellement du mot, Ayiaλòs, qui fignifie côte maritime parce qu'en effet le Péloponnèse eft environné de la mer prefque de toutes parts. C'est ce qui a été reconnu par les Anciens mêmes, (5) entr'au

(1) Saumaife, Loc cit. p. 289: (a) Strabon, Lib. 8. p. 383. (37 Le Grand Etymologique, V. A'Tid. Α' πια. Didyme, In Iliad. A, 30. Eulébe, Chronic. Ann.1. V.auffi Spanheim,in Callimach.Hymn.

in Pallad. v. 4.

(4) Apollodore, Biblioth. Lib. 2. ixit. (5) P ́ufanias, Achaïc. Init. & autres citez par Yindingius, Hellen. p. 11.

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