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tres par Pline (1) en ces termes : Acha a nomen Provincia ab Ifthme incipit. Ante Agialos vocabatur, propter urbes in littore per ordinem difpofitas. Ce qui eft fi vrai, qu'Homére (2) n'appelle point autrement ce canton; quoique de fon tems il fut déja habité par les Ioniens. Helychius paroît avoir eu ce paffage en vue au mot A'yaλɛïs, où ́néanmoins il faut corriger, δεύτερον Γ'ωνες, au lieu de πρότερον, à moins que ce dernier mot n'ait été tranfpofé. Il femble auffi, qu'Etienne de Byzance ait penfe à cet endroit d'Homére dans ce qu'il dit au mot, Ayes, où Berkelius a crû mal à propos qu'il manquoit quelques mots.

De tous ces témoignages, & même de celui de Strabon, cis deffus cité, il réfulte que le nom d'Egialée ne fut proprement donné, qu'à la partie du Péloponnèfe, qui eft fituée fur la côte occidentale de cette Péninfule, depuis Sicyone, jufqu'en Elide, & qui a depuis été appellée Achase. Enforte que fi tous les habitans du Peloponnèfe ont été appellez Egialéens, ce n'eft que comme on a fouvent appellé tous les Grecs du nom d'Argiens, d'Ackéens, &c. quoique ceux, à qui ce nom appartenoit en propre, ne fiflent qu'une petite partie de la Grèce.

3. Une autorité décifive contre le fentiment de Saumaife, eft celle de notre Hérodote, (3) qui affure précisement, que les Peuples de l'Achaïe, avant que de porter le nom d'ioniens, s'appelloient Pél fgiens-Egialiens. Il paroit encore par un autre endroit du même Historien, (4) que les habitans du Péloponnèse s'appelloient Pélafgiens, lorfque Danaus y arriva, & par conféquent avant le tems d'Ion. Ce qui eft confirmé par quelques paffages d'Ef chyle. (5) Rien n'eft donc plus oppofé à la vérité, que de dire que les Pélafgiens n'avoient pénétré dans le Péloponnèfe, que depuis les defcendans de Deucalion, qui furent au contraire ceux, qui y abolirent le nom de Pélagiens, pour y introduire celui d'oniens, ou de Doriens, comme on le verra dans la fuite.

Un quatrième raisonnement de Saumaise, (6), eft tiré des Anciens noms de la Theffalie. Elle étoit, dit-il, appellée Pyrrhée du nom de la femme de Deucalion, avant que d'être appellée Emonie, du nom d'Emon, & enfuite Theffalie, du nom Theffalus. Il est vrai, qu'on lui a auffi donné le nom de Pélafgie. Mais ce n'a

(1) Pline, Hift. IV, 5.

(2) Homére, Iliad. B, 575. ubi vid. Euf tath. & Schol.

(3) Hérodote, VII, 94.

(4) Le même, II, 171.

(5) Efchyl. Supplic. v. 258, 1017.
(6) Saumaife, Loc. cital. p. 296.

été qu'à caufe de Pélafgus, petitfils d'Emon. Or ce dernier étant contemporain de Deucalion, comme il paroît par Strabon, (1) il s'enfuit que les Theflaliens n'ont été nommez Pélafgiens, que poftérieurement à Deucalion.

Laiffant à part le peu de fondement, qu'on peut faire fur ces Etymologies, tirées du nom des anciens Rois, comme je l'ai obfervé ci-deffus, & comme l'a reconnu Saumaife lui-même, (2) je ne puis m'empêcher d'admirer ici l'inadvertance finguliére de ce fçavant homme en cet endroit en ce qu'il fupofe, que le Pélafgus, dont il s'agit, étoit petitfils d'Emon, au lieu qu'il étoit fon aycul. Car il étoit fils de Chorus, qui eut Emon pour pere, fuivant Etienne de Byzance. (3) Tout au moins Pélafgus étoit-il fils d'Emon, fuivant le Poëte Rhianus. (4) Si donc la Theffalic a été appellée Pélafgie à cause de lui, cela a dû fe faire avant le tems de Deucalion. D'ailleurs ce dernier, fuivant Strabon, ne poffedoit pas toute la Theffalic. Emon en occupoit une partie. Il pouvoit donc y avoir des Pélafgiens ; & il faut bien qu'il y en cût, puifque le premier nom la de Theffalie fut celui de Pélafgie. (s)

C'est donc fort inutilement, que Saumaise (6) s'amuse à rechercher, fi le Pélasgus de Theffalie eft plus ancien, que celui du Péloponnèfe; fur-tout s'il eft vrai, que le nom de Pél fgiens no vient point d'eux, comme il paroît très-vraisemblable. De plus, il n'y a pas feulement eu deux Héros de ce nom, fi nous en croyons ceux, (7) qui ont examiné la chofe. Car ils ont fait voir qu'il y en a eu jufqu'à treize, qui ont vécu en divers tems, & en divers Pays, & dont quelques-uns font antérieurs à Deucalion.

Et c'eft envain que Saumaile (8) a voulu le prévaloir de ce qu'Homére, parlant des deux Villes d'Argos, appelle toujours celle de Theffalie Pélafgique, au lieu qu'il appelle Achaïqu?, celle du Péloponnèle. D'où Saumaife tire cette conféquence, que la derniére a été bâtie par les Achéens, qui fortoient conftamment de Theffalie, & que dès-là cette Ville étoit moins ancienne que l'autre. Mais il s'eft équivoqué en ce dernier point. Car l'Argos du

(1) Strabon, Lib. 9. in fin.

(2) Saumaife, Loc. citat. p. 326. (3) Etienne de Byzance, V. A'povía. (4) Rhianus apud Schol. Apollen. Rhed. III, 1089.1

(5) V. Vindingius, Hellen. p. 3 18, 319.

(6) Saumaife, Loc. cit. p. 298.

(7) Paulmier, Græc. Antiq. I, 9.
(3) Saumaife, Loc. cit. p. 303.

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Péloponnèle paffoit dès le tems d'Inachus, (1) pour la principale Ville de la Grèce. Quelques Auteurs (2) ont même assuré qu'elle en étoit la plus ancienne. Qui plus eft, on fçait par le témoignage des Anciens, (3) que les Pélafgiens, qui ont depuis habité la Theffalie, font fortis de cet Argos. Que fi dans la fuite on lui a donné l'Epithète d'Achaïque, ç'a été pour la diftinguer de l'Argos de Theffalie, qu'on appella, Pélafgique, quand elle eut été bâtie par les Pélafgiens, qui menérent une Colonie dans cette contrée. Mais ce changement n'arriva, que quelques générations après, lorsqu'Achée, defcendant des Deucalion, ayant quitté la Theffalie, pour se retirer au Péloponnèfe, donna le nom d'Achéens aux Péloponnéfiens. C'eft la tradition constante des Grecs. (4)

Reste la derniére objection de Saumaife, (5) & qu'il croit la plus forte de toutes. Les Grecs, dit-il, ont tiré leur nom de Gracus, qui étoit né en Theffalie. Hellen, d'où dérive la Langue Grèque, en étoit auffi forti. Or les Pélafgiens parloient cette Langue. Il le prouve par un paffage de Strabon, (6) où il paroit que ces Peuples employoient le mot, xaipe, dans le même sens, que les Grecs. Il faut donc, qu'ils fuffent defcendus des Helléniens, & non plus anciens qu'eux.

Je pourois dire au contraire, que cette objection eft la plus foible de toutes celles, qu'a propofees Saumaife. Je veux que les Pélafgiens ayent parlé la même Langue, que les Helléniens. S'enfuit-il pour cela, que les premiers foient poftérieurs aux deniers ? On pouroit tirer également dans le doute une conféquence oppofée.

Mais il ne sçauroit y avoir de doute; puifque nous favons, que les Pélasgiens ont au contraire peuplé la Grèce avant les Helléniens, & que les Grecs eux-mêmes les ont regardez, comme les plus anciens habitans de leurs contrées, dont ils euffent confervé la mémoire, ainfi que je l'ai observé ci-deflus. Le fait eft conftaté par un paflage de Thucydide, que Saumaife a cité lui-mème. (7)

(1) Hérodote, 1, 1. Strabon, Lib. 5. p. 1 lonius de Rhodes, 1, 58. où au lieu de II221. Ở Lib. 8. p. 37. Suidas, V. I'vάxelovaoyor, il faut lire Пλary wv. (4) V. Strabon, Lib. 8. p. 365, & 383. Conon, Narrat. 27.

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(2) Diodore de Sicile, Lib. 1. p. 24. V. auffi M. Boivin l'aîné, Mém. de l'Acad. des Infcript. T. 2. p. 442. de l'édit. in-12.

(5) Saumaife, Loc. cit. p. 314. (6) Strabon, Lib. s. p. 220. V. auffi Ser. (3) Strabon, dict. p. 221. Denis d'Halicar-vius, in Virgil. Æneid. VIII, 597. Paulmier, nafle, Antiq. Rom. Lib. 1. p. 14. Euftathe, in Dionys. Perieg. v. 347. Le Schol, d'Apol

Græc. antiq. 1, 9. p. 54, 55.
(7) Saumaife, Loc. cil. p. 282,

A l'égard de leur Langue, j'en ai déja dit mon fentiment. Il eft difficile de douter, après les preuves, que j'en ai données, qu'elle ne fût differente de celle, que les Grecs ont parlé dans la fuite. Saumaise l'a reconnu lui-même, (1) en ces termes : Certè Pelafgos partim Thracica, partim Greca antiqua loquutos lingua conftat. Mais pourquoi veut-il, qu'elle tînt plûtôt de l'idiome de Thrace, que de celui des Phéniciens Lui, qui reconnoit ailleurs, (2) que leur nom eft dérivé d'un mot Hébreu, ou Phénicien. Cette origine eft d'autant plus vraisemblable, que leur Alphabet eft dérivé du Phénicien, comme je crois l'avoir prouvé dans ma Diflertation, fur les an ciennes Lettres Grèques, & Latines. On ne fçauroit donc guére douter, qu'ils ne parlaffent originellement la même Langue. Mais le mélange de cet Idiome avec ceux des anciens habitans de la Grèce, a formé par une longue fuite de tems la Langue Grèque de la même maniére, que le mélange des Romains avec les anciens Celtes, ou Gaulois, a formé la Langue Françoife.

Et il ne faut pas étre furpris, fi les Pélafgiens, qui quittérent la Grèce, n'entendirent plus au bout de quelques fiécles ceux; qui y étoient restez, ni s'ils confervérent néanmoins dans leur Langue quelques mots, qui leur furent communs avec les Grecs. Saumaise (3) a répondu lui-même ainfi à la premiére difficulté : Poteft fieri, ut Pelafgi, qui in alias oras migraffent, quum retinuiffent prifcum fermonem, non intellectos fuisse à Græcis, qui penè omnia jam in fermone fuo mutaverant.

A l'égard de l'autre, on fçait que quelque altération, que reçoive une Langue, foit par le tems, foit par le mélange avec une ou plufieurs autres, il y a pourtant plufieurs mots, qui fe confervent dans les unes, & dans les autres. Tels font, par exemple, nos mots, de fac, de vin, & quantité d'autres, qui font communs à diverses Langues, lefquelles dans l'origine n'étoient peut-être pas différentes, quoiqu'elles le foient beaucoup aujourd'hui.

Ce qu'on peut nous objecter de plus fort, c'eft ce que j'ai observé ailleurs, (4) que les nombres des anciens Athéniens, dont l'origine paroit avoir été Pélafgienne, fe marquoient par la premiére Lettre des noms de ces nombres, comme П. рour пTE, pour Aixa, & ainfi des autres. Or comme ces noms font Grecs, on peut en tirer la conféquence, que l'ancienne Langue de ces Peu

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(1) Saumaife, Loc. cit. p. 404.
(2) Le même, ibid. p. 342.
(3) Le même, Dia. p. 404.

(4) En ma Differtation, De prifc. Græcor. & Lasiner, Liter, n. 29. 3°.

ples étoit la même, que la Grèque.

Mais on peut répondre, que quand il feroit certain (ce qu'ors ne peut néanmoins affurer) que cette maniére de marquer les chiffres vient des Pélafgiens, on pouroit feulement en conclure, que les noms des nombres étoient déja dans leur ancienne Langue lorfque cette nation habitoit encore le Peloponnèse, & qu'ils fe font confervez dans la Langue des Grecs, malgré les changemens, qui y font arrivez depuis. C'eft ainfi que les Anglois ont retenu une infinité de mots Normands, nonobftant les changemens que le mélange d'autres Peuples a depuis faits dans leur Langue. On trouveroit dans les autres nations mille exemples pareils.

Pour couclufion de cette matiére, j'obferve que par le témoignage d'Hérodote, (1) & de Thucydide, toute la Grèce, jufques a la Thefprotic, étoit anciennement connue fous le nom général de Pélafgie. Strabon même (2) y comprenoit l'Epire. Or ce nom n'a pû être donné à la Grèce fous les defcendans de Deucalion. Car non feulement ils firent tous leurs efforts, pour chaffer les Pélafgiens de tous les lieux, dont ils étoient en poffeffion; mais ils tâcherent de plus d'en abolir jusques au nom, dans les Cantons, dont ils devinrent les maîtres. Ainfi les Sujets d'Hellen s'appellérent Helléniens, ceux d'Eole Eoliens, ceux de Dorus Doriens, ceux d'Achée Achéens, & ceux d'Ion Ioniens; jufqu'à ce qu'enfin le nom d'Hellen prévalut fur tous les autres.

On comprend que ce n'a pû être depuis ce tems-là, que la Grèce a porté le nom des Pélafgiens, dont la puiffance diminuoit chaque jour, & fut dans la fuite anéantie. Il faut donc qu'elle l'eût porté auparavant. Ce qui achéve de détruire entiérement le fentiment de Saumaise, lequel a été justement cenfuré à cet égard par Prideaux, [3] quoiqu'en termes un peu trop durs, & fans approfondir la question autant qu'il auroit pû le faire.

Revenant aux établiffemens des Pélafgiens dans le Péloponnèfe, j'obferve qu'ils y formérent différens Etats, lefquels conservérent le nom de ce Peuple tant qu'il en fut le maître. Ainfi ceux, qui poffedoient les dépendances du Royaume d'Argos, s'appelloient (4) Pelafgi Argivi; ceux, qui habitoient l'Arcadie, s'appelloient Pe'afgi Arcades; (5) & ceux, qui demeuroient fur les côtes de la Mer

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